1.1. Le commerce « non » sédentaire

La principale caractéristique qui décrit ce type de commerce est sa non-sédentarité, ce qui par définition l’oppose aux lieux de vente installés dans des bâtiments fixes, de façon durable, et que l’on appelle plus couramment ‘«’ ‘ magasin’ » ou ‘«’ ‘ boutique’ ». Les commerces non-sédentaires prennent place de manière temporaire – une demi-journée voire quelques jours dans la semaine ou dans l’année – dans un lieu habituellement réservé à une autre destination, généralement de passage (une rue) ou de stationnement (un parking). On parlera alors de ‘«’ ‘ places marchandes’ ». Ces commerces prennent diverses formes, que ce soit des étaux installés sous les barnums, une table de fortune surmontée d’un parasol, des camions-magasins ou des camions réfrigérés, plus modernes et plus facilement déplaçables. Ces installations plus ou moins élaborées paraissent beaucoup plus modestes que les magasins mais s’adaptent très bien au nomadisme.

Néanmoins, si commerces sédentaires et commerces non-sédentaires sont mis en ‘«’ ‘ opposition »,’ il n’est pas rare de rencontrer des commerçants ‘«’ ‘ sédentaires’ » proposant eux-mêmes leurs produits sur les foires et marchés. En effet, ces commerçants remarquent que la clientèle n’est pas du tout la même sur les marchés que dans leur boutique. Ils observent qu’elle est plus fidèle sur les marchés. Il est également plus facile de s’approcher des étaux que de pousser la porte d’un magasin, en particulier pour la population rurale, majoritairement représentée sur les marchés, pour qui les boutiques représentent encore le luxe.

Cette non-sédentarité peut se définir par son côté éphémère, par son mode d’installation (pas de construction en dur) mais aussi par l’expression d’une  forme de nomadisme.

En effet, ces commerçants se déplacent au fil des jours vers différents lieux, plus ou moins éloignés les uns des autres, au gré de la tenue des places marchandes. Du fait des abonnements, chaque semaine voit défiler les mêmes tournées. C’est le commerçant lui-même qui détermine sa tournée – son territoire ? – en fonction de l’intérêt qu’il a ou non à se rendre sur tel ou tel marché. Ainsi par exemple, un marchand présent sur le marché de Louhans se rendra sur les marchés de Chalon-sur-Saône, de Bourg-en-Bresse, de Tournus et de Lons-le-Saunier. Un producteur d’ail rencontré sur la foire de Billom explique ainsi ses choix : ‘«’ ‘ y a des fois, on fait 75-80 marchés par an. Le plus loin qu’on va, c’est 120 km. On sort pas de la région. Enfin, la Corrèze, mais bon, c’est limite. Corrèze, Cantal, Puy de Dôme (…). Par contre, on va pas un coup à 80 km au nord du département, un autre coup à 60 km au sud du département (…) Tout ce qui se passe dans un rayon de 20 km de l’axe’ ‘ [qu’ils se sont choisi avec son épouse], ’ ‘on essaye d’y être. C’est beaucoup plus facile. Et puis tous les ans, on va aux mêmes manifestations. Comme ça, ça fidélise les gens. Maintenant, on fait partie du’ ‘ ["paysage"]… ’ ‘On connaît les familles’ ‘ »’. Et sa femme de souligner : ‘«’ ‘ y a d’autres producteurs qui font un peu comme nous. Et on essaye de pas se marcher sur les pieds’ ». La plupart du temps, les tournées se font sur un périmètre restreint, limité plus ou moins aux frontières du département (ou de la ‘«’ ‘ région’ », c’est-à-dire des environs), le temps du trajet ou le kilométrage décidant le plus souvent des limites autorisées pour les déplacements. Toutefois quelques-uns, assez rares, traversent la France en une semaine, comme ce volailler, rencontré à Louhans, originaire de la Drôme, qui se rend aussi sur les marchés de Toulon (Var) et de Châteaurenard (Vaucluse).

Les tournées peuvent être modifiées au cours de la ‘«’ ‘ carrière’ » : des marchés sont parfois abandonnés parce qu’ » ils ne marchent pas ». On remarque aussi que les commerçants ont leur préférence, qui dépend surtout du chiffre d’affaires réalisé. Certains marchés sont unanimement cités comme étant ‘«’ ‘ bons’ » ou ‘«’ ‘ mauvais’ ». Parfois ces qualificatifs sont attribués en fonction du type de commerce. En effet, sur un même marché certains produits se vendent bien, ce qui n’est pas le cas pour d’autres. Sur les fêtes annuelles, certains observent que le produit à l’honneur se vend très bien, ainsi que les productions locales et artisanales, et que les autres types de produits ne rencontrent pas toujours de succès. Une autre dimension suscite la préférence pour une place marchande : son ambiance (cette ambiance pouvant d’ailleurs être explicative d’un meilleur chiffre d’affaires). Cette caractéristique est largement soulignée. Les commerçants non-sédentaires rencontrés à Louhans m’ont tous fait part de leur préférence pour ce marché. ‘«’ ‘ A Lons, ils sont froids, les gens… »’. Certains estiment que son ambiance vient du fait qu’il y a un marché aux volailles. Cette notion n’est pas clairement définie car elle ne repose pas sur des critères concrets et objectifs. Elle émane d’impressions ressenties, du plaisir que les consommateurs ont à se rendre sur un marché précis. Elle dépend également de l’échange avec les collègues, les clients et les organisateurs.