Comme nous l’avons vu dans la première partie, les règlements municipaux ne laissent s’installer que les personnes autorisées. Les commerçants doivent être inscrits au Registre du commerce, au répertoire des métiers, ou justifier d’un titre qui les autorise à se livrer au commerce. Les artisans et les producteurs agricoles sont acceptés sur présentation des documents demandés.
‘« Les services du Ministère du commerce classent les commerçants non-sédentaires (entre 100 000 et 130 000 personnes) en trois catégories : a/ les commerçants ambulants qui disposent d’un domicile ou d’une résidence fixe depuis plus de six mois et qui sont inscrits au registre du commerce ; b/ les commerçants forains qui ne disposent ni d’un domicile ni d’une résidence fixe, mais qui sont inscrits au Registre du commerce ; c/ les petits marchands qui, bien que n’étant pas inscrits au registre du commerce ont l’autorisation de vendre sur la voie publique. (…) En fait cette classification recouvre des situations fort contrastées. » 148 ’Ces différences sont soulignées par les appellations qui ne désignent pas une profession homogène, mais des métiers différents les uns des autres et des situations sociales très disparates. ‘«’ ‘ Commerçants ambulants, commerçants en étalage, marchands des rues, chineurs, démarcheurs, ambulants, non-sédentaires, non producteurs, démonstrateurs, posticheurs, tous ces mots recouvrent des situations sociales différentes.’ » 149
Les commerçants non-sédentaires dont nous avons parlé jusque là sont, pour la plupart, des professionnels de la vente. Leur fonction principale est le commerce de biens de consommation. Pourtant, sur les places marchandes, on rencontre des personnes pour qui la phase de commercialisation n’est qu’une étape de leur travail. Il en va ainsi des artisans et des petits producteurs agricoles et, plus généralement, des métiers de l’alimentation auxquels nous allons plus particulièrement nous intéresser.
En effet, si l’on est porté à croire que c’est le producteur lui-même qui vient vendre ses propres légumes ou ses propres fromages de chèvre, cela est rarement le cas, les commerçants s’approvisionnant chez un grossiste ou un négociant. Pour M. de la Pradelle, cela fait partie de l’illusion des marchés. Le marchand se plait à entretenir l’attente du client, ‘«’ ‘ non pas tant pour tromper le client que pour satisfaire son attente, et ce jeu d’illusion fonctionne d’autant mieux que chacun a envie de s’y laisser prendre. »’ 150 Ainsi, il n’est pas rare d’entendre le commerçant user d’adjectifs possessifs pour désigner les produits ‘(’ ‘«’ ‘ elles sont belles mes tomates »’) qu’il caractérise toujours d’un terme flatteur montrant l’attachement presque charnel qu’il entretient avec sa marchandise.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les producteurs étaient très présents sur les places marchandes qui constituaient leur principal débouché. Ils les désertèrent au profit de nouveaux moyens de commercialisation et ils furent remplacés par des commerces de primeurs ou de produits manufacturés. Aujourd’hui, on observe le retour de producteurs sur les marchés. Il s’agit plus particulièrement de producteurs ‘«’ ‘ bio’ », de petits producteurs de fromages, de maraîchers ainsi que des éleveurs de volailles ou de lapins.
Nous pouvons distinguer les producteurs qui commercialisent sur les marchés et les producteurs qui participent aux manifestations locales annuelles mais qui ont un réseau de commercialisation déjà bien constitué et qui ne passent pas par les marchés hebdomadaires. A Romans, les boulangers qui préparent les pognes, ont leur commerce – la boulangerie –mais ils tiennent à être présents sur les foires locales à vocation gastronomique. Outre la fête de la raviole et de la pogne, ils se rendent sur des foires comme celles de Valence, de Beaucroissant ou sur la foire gastronomique de Romans. Quelques-uns vont même à Béziers. De même, les fabricants de ravioles possèdent un stand sur cette fête : ‘«’ ‘ parce qu’on est de là, mais ça s’arrête là. Notre but n’est pas de faire le plus de foires’ ». Souvent, ils participent, par groupes, à des manifestations nationales, comme le Salon de l’agriculture qui est la manifestation la plus connue et qui se déroule à Paris, au mois de février, chaque année.
Les petits producteurs sont présents sur les marchés hebdomadaires. A Louhans, par exemple, une place est destinée aux emplacements des maraîchers locaux. Mais ce sont sur les fêtes et les foires annuelles que l’on rencontre le plus de producteurs, pour qui la manifestation est quasiment réservée. On remarque que sur les fêtes organisées autour d’un produit, on encourage ses producteurs à être largement présents. A Saint-Aubin, les inscriptions ne sont ouvertes qu’aux pruniculteurs. De même, à Billom, ce sont les produits de la fête (ail et brocante) qui sont privilégiés. Quelques commerces sont tolérés, en nombre limité. Par exemple, un ou deux emplacements sont gardés pour un commerce de restauration rapide. Le règlement de certains marchés, en particulier dans les zones rurales, autorise les petits producteurs à venir occasionnellement vendre le fruit de leur travail, sans s’inscrire ni payer de droits de place, comme c’est le cas à Louhans en ce qui concerne la volaille et les oeufs. En effet, une zone que nous avons désignée comme « marché traditionnel » est réservée à la vente d’une production dite ‘«’ ‘ familiale’ ». Particuliers et petits éleveurs viennent vendre le sur-plus de leur production, sans faire l’objet d’aucun contrôle, renouant ainsi avec la fonction qui était celle des marchés jusqu’au début du XXe siècle.
Ces observations sont différentes sur les marchés de bovins vifs et les concours. En effet ces manifestations mettent en présence des professionnels, souvent un éleveur et un négociant, le consommateur étant absent à ce stade de l’échange. Les éleveurs ont leur exploitation dans les proches environs, les négociants en bestiaux se déplacent sur tout le territoire. A Saint-Christophe-en-Brionnais, un négociant de Vendée vient une à deux fois par mois pour approvisionner un de ses clients vendéens. On y trouve des maquignons Lyonnais et des négociants Italiens ou Allemands. Alors que les foires et les marchés ont une dimension régionale, les marchés aux vifs ont une dimension nationale voire internationale, notamment parce que ce genre de négoce est peu fréquent sur le territoire.
Les éleveurs présents à Saulieu ne se rendent habituellement pas sur des marchés aux bestiaux. On remarque d’ailleurs, à Saint-Christophe-en-Brionnais, que les éleveurs présents sur le concours, ne viennent généralement pas sur le marché hebdomadaire. Les éleveurs qui présentent des bêtes à Saulieu, les emmènent aussi sur d’autres concours, comme celui de Vitteaux (Côte d’Or) qui a lieu une semaine après celui de Saulieu et qui permet de vendre les bêtes restantes. Quelques-uns participent également au Salon de l’agriculture.
Les producteurs qui choisissent la vente directe recherchent, de manière générale, à être en contact avec des individus, des consommateurs. Outre l’aspect économique, cette rencontre directe leur permet d’apporter des informations sur leurs produits. Ce choix de commercialisation n’est pourtant pas toujours évident à réaliser lorsqu’il existe des réseaux modernes efficaces au niveau économique et peu contraignants pour le producteur. La vente directe est désignée pour des motifs économiques qui peuvent exprimer une certaine manière de penser son travail, en contestant les productions intensives et la distribution de masse. La rencontre ponctuelle avec les consommateurs, privilégie d’avantage la communication sur les produits ou les filières.
Ibid., p.115.
C.Ellen, S.Girard, M.Houssin, R.Doisneau : Marchés passion, 1988, p.90.
M. de la Pradelle, op cit., 1996, p.171.