2.1. Les réseaux de commercialisation et les formes du produit

Les réseaux de commercialisation des produits agricoles se sont diversifiés sous l’influence de trois facteurs : les nouveaux modes de production, la mécanisation et les nouvelles habitudes alimentaires. La grande distribution prédomine néanmoins. En effet, la plupart des agriculteurs rencontrés ont des contrats avec des grandes surfaces (Atac, Auchan, Casino…). Parfois, l’échange entre le producteur et le lieu de distribution passe par un négociant. Celui-ci peut avoir plusieurs clients, de plusieurs catégories. Ainsi, si la grande surface est largement choisie pour commercialiser les produits, ce n’est pas le seul réseau possible, chaque exploitant pouvant choisir un ou plusieurs réseaux. A Saint-Aubin, on estime qu’une majorité de la production de pruneaux se trouve dans la grande distribution, alors que les marchés n’en reçoivent que 2 à 5%. Les producteurs de ravioles ont deux réseaux privilégiés : les grandes surfaces, telles que celles citées plus haut, et les petits commerces locaux. Le piment d’Espelette est dirigé, quant à lui, sur les marchés et les commerces locaux, mais il est aussi acheté en gros par des négociants ou des coopératives, qui le reconditionnent et se chargent de le redistribuer, ou des conserveries qui l’incorporent à leurs préparations (plats cuisinés, sauces…). Les restaurateurs sont aussi des acheteurs privilégiés. Les pognes sont principalement vendues dans les boulangeries.

Les produits subissent parfois des transformations, avant d’être écoulés, afin d’optimiser la rentabilité. Ainsi, les prunes abîmées par la grêle donneront de l’eau-de-vie ou de la pâte de fruit. De même, l’ail de Billom pourra être transformé en poudre ou en purée par une des usines locales. Le produit peut être distribué sous différentes formes. A Billom, un producteur qui ne fait que de la vente directe a choisi de ne vendre l’ail que transformé en tresse ou en soupe, et très peu en vrac, en botte. Le cahier des charges de l’A.O.C. du piment d’Espelette définit sa commercialisation sous trois formes : en poudre, en corde ou entier. Le piment frais peut être transformé en coulis. Le nombre de piments par corde, la façon dont ils sont encordés, sont aussi consignés.

A travers ces quelques exemples, se dégagent très bien les différents modes de commercialisation. Le plus souvent, les produits passent par des coopératives ou des négociants avant d’arriver dans le commerce de détail. Parfois même le produit récolté va chez un premier intermédiaire avant d’être commercialisé, comme le pruneau, qui est traité par des coopératives de séchage et de mise sur le marché. Trois modes de commercialisation sont possibles selon, pourrions-nous dire, le type d’interlocuteur de l’interface : le consommateur direct, l’intermédiaire (négociant, transformateur…) ou le distributeur (grande surface, boucher, boulanger, épicerie, restaurateur, commerçant). Généralement, la grande distribution fait appel à des intermédiaires. On parlera de vente en circuit court lorsque le producteur fournit un boucher ou un restaurateur qui transformera lui-même le produit avant d’être consommé. La vente directe ne concerne que celle qui s’effectue entre un producteur et un consommateur, sans intermédiaire. A la Fédération nationale des bovins (qui appartient à la F.N.S.E.A.), on distingue deux catégories d’achat : les achats privés (foires, marchés, négociants, entreprises privées) et les achats coopératifs (groupements de producteurs, associations d’éleveurs et entreprises familiales).

Chaque producteur choisit son ou ses réseaux selon son type d’activité, son économie (les productions ne sont pas les mêmes – en quantité – si on travaille sur le marché local ou national), selon la concurrence, l’offre et la demande (l’économie de marché) et selon ses objectifs, ses choix en matière d’agriculture. Chacun doit ainsi trouver sa place sur le marché. Le plus souvent, c’est la vente en gros ou en semi-gros qui est privilégiée. La vente aux particuliers qui ne permet pas d’écouler de grosses quantités ne représente qu’une infime part des échanges. Pourtant, nous verrons qu’elle trouve un nouvel essor dans un contexte de recherche de qualité et de dialogue. Le producteur d’ail évoqué plus haut fait d’ailleurs remarquer : ‘«’ ‘ ça pourrait pas marcher, si tout le monde faisait comme moi. Il faut se diversifier et se répartir sur le marché ».’ De plus des modifications peuvent faire évoluer le marché. Ainsi la présidente du syndicat du piment d’Espelette faisait observer, peu de temps avant l’obtention de l’A.O.C. (en juillet 2000), que ‘«’ ‘ l’appellation risque de développer la production, et il faudra chercher des marchés… Pour pas qu’il y ait trop de concurrence ici »’.

Deux voies distinctes s’ouvrent : le détail, écoulé en vente directe ou en ‘«’ ‘ circuit court ’» et le semi-gros ou le gros où le produit sera destiné à être transformé et/ou redistribué. Cette dernière a été privilégiée par les producteurs, aussi les lieux de grande distribution prédominent-ils. Les choix sont imposés aussi par le poids des politiques et de l’économie agricole. Ainsi, la tendance actuelle de recherche de qualité par des protections A.O.C., par exemple et le retour des petits producteurs qui commercialisent eux-mêmes leurs produits ne répond pas seulement à une mode. Il s’agit de trouver sa place sur le marché. J.-P. Poulain observe en effet que :

‘« confrontés aux problèmes de surproduction, [les agriculteurs] sont contraints à une reconversion qualitative. Produire moins suppose de vendre plus cher ; deux stratégies non exclusives se dessinent alors : créer des aliments de haute valeur symbolique (…) ; court-circuiter la filière commerciale traditionnelle. » 151

Notes
151.

J.-P. Poulain : « Goût du terroir et tourisme vert à l’heure de l’Europe » in Ethnologie française, XXVII, 1, 1997, p.19.