Le poids des intermédiaires

La première critique que les producteurs font à ce mode de commercialisation est la question du prix ou plutôt de la marge. Un pruniculteur explique : ‘«’ ‘ Par exemple, le centre Leclerc va s’adresser à France Prune ou à un autre marché de la région, pour 50 tonnes de pruneaux. Alors les prix ne sont pas les mêmes qu’un producteur qui conserve tout au long de l’année quelques kilos de pruneaux.’ » L’achat en gros revient moins cher, comme nous le comprenons aisément. Mais cela ne peut être opérationnel qu’avec les gros producteurs qui ont des quantités conséquentes. Les petits producteurs entrent donc en concurrence très rude avec les grandes surfaces, les prix qu’ils pratiquent ne pouvant être compétitifs. Ne produisant qu’en faibles quantités, ils peuvent difficilement entrer dans ces circuits de consommation de masse, puisque cela leur serait économiquement défavorable.

Le réseau de la grande distribution se caractérise par la multiplication des intermédiaires présents entre le producteur et le consommateur. Ce dernier a exprimé son désarroi face à l’opacité du circuit emprunté par les produits en n’achetant plus certains d’entre eux, et réclame une clarté quant à ses manipulations successives et à ses origines. Le producteur voit également un fossé se creuser entre les prix pratiqués et les prix affichés en magasin. En effet, chaque intermédiaire essaie de se dégager une marge à la revente. La différence entre le prix d’achat au producteur et le prix de vente au consommateur est souvent importante. Cette différence est d’autant plus mal acceptée par le producteur que les prix lui sont imposés, qu’il ne peut refuser sous peine de se retrouver avec une production invendue. Aussi lui arrive-t-il de vendre à perte. Ce sont les grandes surfaces qui imposent leurs prix et font le marché puisque les prix se répercutent sur l’ensemble de la filière. Recherchant les produits les moins chers pour offrir une qualité correcte et bon marché à ses clients, la grande distribution n’hésite pas à faire jouer la concurrence étrangère. Il n’est pas rare de trouver sur leurs étaux des fruits ou des légumes venant des pays du sud (Espagne et Afrique du Nord essentiellement). Parfois cette concurrence apparaît dans le paysage national sous un aspect déloyal. Ainsi le pruneau est produit dans diverses régions : Dordogne, Lot, Gironde mais aussi Espagne, Grèce et Californie. Les pruniculteurs de Saint-Aubin prétendent que ces pruneaux ‘«’ ‘ sont de qualité inférieure aux nôtres’ », mais ils font observer que bien souvent on trouve des pruneaux de Californie sous l’appellation ‘«’ ‘ pruneau d’Agen’ ». Bien que des normes imposent d’y ajouter la mention ‘«’ ‘ importé de Californie’ » l’appellation est trompeuse . ‘«’ ‘ C’est frustrant pour les producteurs de la région. Le prix n’est pas le même. Même s’ils sont importés, il arrive des fruits avec des prix inférieurs aux nôtres. (…) Le problème du goût, c’est moins gênant, mais c’est surtout le prix, c’est-à-dire que c’est une concurrence importante pour le pruniculteur français.’ » Ce cas est pervers puisque les pieds de culture sont les mêmes que ceux d’Agen, que les négociants qui importent, réhydratent et redistribuent sont installés dans le Lot-et-Garonne et qu’ils achètent aussi des pruneaux d’Agen. Néanmoins, ils ne sont pas produits dans la zone géographique d’appellation ‘«’ ‘ pruneau d’Agen’ ».

Pour certains produits, la concurrence étrangère influe sur les cours du marché faisant parfois redouter ces mouvements spéculatifs aux producteurs. En 1988 un étudiant en géographie observait ceci :

‘« Les cours de l’ail de Billom dépendent en grande partie de la récolte espagnole. La loi du King, qui établit que dans un marché agricole non protégé, une variation de la production dans un sens, même minime, s’exprime par des variations infiniment plus marquées des prix, mais en sens contraire, est parfaitement avéré sur le marché de l’ail. » 153

Pour d’autres produits la concurrence apparaît comme un prétexte pour se démarquer en montrant ses caractéristiques originales, voire sa ‘«’ ‘ supériorité’ ». Les producteurs rencontrés évoquent une concurrence des prix avec des produits du même type que les leur mais qui seraient de moins bonne qualité. Cette concurrence aura d’ailleurs un effet ‘« stimulant’ », ‘«’ ‘ dynamisant’ » puisque certains mettront en place des actions pour se distinguer ou affirmer une spécificité par des protections type A.O.C. .

Notes
153.

C. Tallon, C. Giraud : L’ail à Billom, étude de géographie rurale, Mémoire de licence de géographie, U.E. « campagnes françaises », Faculté de géographie, Clermont-Ferrand, 1987-1988, p.20.