2.3.2. La vente directe : une solution face aux dictats de la grande distribution

La vente directe réalisée par le producteur lui-même se répand. Le producteur effectue seul cette activité, souvent aidé de son épouse. Il travaille de manière individuelle, mais il est parfois rattaché à une association, à un syndicat ou à un label collectif ‘(’ ‘«’ ‘ Accueil Paysan’ », ‘«’ ‘ Bienvenue à la ferme’ »…). La vente directe individuelle prend essentiellement deux formes : la vente sur l’exploitation et la vente sur les foires et marchés. Ceux qui ont fait ce choix de commercialisation exercent ces deux formes de vente ainsi que la vente par correspondance. Les producteurs qui optent pour la vente directe, en circuit court, font surtout le choix de ne pas laisser de place aux intermédiaires entre le producteur et le consommateur, quel que soit leur objectif. L’aspect économique peut être un de ceux-ci. En effet, la vente directe permet de réaliser de plus grandes marges. Un producteur d’ail dont les méthodes sont critiquées par ses collègues n’hésite pas à pratiquer les mêmes prix que ceux affichés dans le commerce. Les fêtes, les foires et les marchés sont également très intéressants financièrement. Le même producteur d’ail affirme qu’il réalise 1/10e de son chiffre d’affaires durant la foire à l’ail de Billom. Pourtant, cet aspect est tout relatif puisqu’il est très fragile. D’abord, la commercialisation est plus aléatoire ; la coopérative ou le négociant apportent une garantie de vente et ils déchargent de la préoccupation de trouver des débouchés pour l’ensemble de la production. Ensuite, la vente directe demande l’investissement dans du matériel et des locaux. Selon le type de produit, les investissements sont plus ou moins lourds. Il s’agira de banques réfrigérées, de chambres froides, d’abattoirs agréés (volaille de Bresse), de laboratoires agréés (conserves de foie gras)… L’ensemble du matériel doit être conforme aux normes européennes, ce qui demande parfois de consulter des techniciens qui peuvent conseiller de nouveaux aménagements, nécessitant donc de nouveaux investissements. Ce sont les producteurs eux-mêmes qui doivent s’assurer et apporter les preuves du bon respect des normes concernant le matériel comme le produit, en réalisant eux-mêmes leurs propres contrôles ou en les faisant faire à des sociétés extérieures. La vente directe demande un réel investissement financier et personnel qui pourrait être plus dissuasif qu’attractif. Mais ce choix de commercialisation relève plus d’un mode de vie, d’une manière de penser l’agriculture et de travailler, que d’un choix économique. La vente directe est très bien adaptée aux petites exploitations, qui pratiquent la polyculture. Les revenus peuvent être complétés par d’autres sources intégrées à l’exploitation comme la visite de l’exploitation et les chambres ou tables d’hôtes. Néanmoins, tous ne peuvent se permettre de faire ce choix qui ne peut avoir lieu que si le producteur s’investit dans la phase de commercialisation et possède des débouchés. Un éleveur de Saulieu qui ne souhaitait passer ni par des intermédiaires ni par des coopératives n’aurait pu réaliser son vœu s’il n’avait réussi à avoir un contrat avec un boucher.

Le choix de la vente directe est donc assez contraignant et demande un investissement personnel très intense dans la phase de commercialisation, pour réussir financièrement. Le producteur doit donc être aussi ‘«’ ‘ commerçant’ », savoir intéresser le client. Les marchés sont un excellent moyen pour optimiser cette étape. Les fêtes, les foires et les marchés servent à se faire connaître, à étendre la clientèle avant de la fidéliser, car ils permettent d’aller au devant d’elle. Non seulement ils permettent de revoir le client régulièrement – toutes les semaines ou tous les ans –, mais ils encouragent aussi la venue sur l’exploitation. Ainsi, il n’est pas rare de voir un producteur remettre sa carte de visite et un bon de commande à ses clients, ce qui leur permettra de se réapprovisionner chez lui tout au long de l’année. ‘«’ ‘ On vient ici [sur la foire de Billom] chaque année. Donc les gens nous connaissent et ils viennent directement. On a des clients... attitrés. Ou alors, des gens qui peuvent pas venir sur la foire ce jour-là… Ils nous disent : " Voilà, il me faut ça, ça, ça. Vous me préparez. Quand c’est prêt, vous nous téléphonez, on vient directement chercher chez toi" (…) Bon, ceux qui sont de la région, ils viennent pas sur la foire à l’ail. »’

Outre leur intérêt commercial, les foires et marchés sont valorisés pour leur capacité de rassemblement ce qui répond à divers objectifs. D’abord ils permettent de maintenir une concurrence et d’établir des cours. Ensuite, ils entretiennent une certaine dynamique en réunissant et en mettant en exposition une filière. Enfin, les fêtes, les foires et les marchés permettent de renouer avec une sociabilité, un échange que le producteur essaie de retrouver avec le consommateur pour sortir de son isolement et pour informer sur son travail. Différents atouts sont attribués aux marchés. Un employé municipal chargé des marchés de Saint-Christophe-en-Brionnais observe, devant la baisse d’affluence des éleveurs sous la halle : ‘«’ ‘ La commercialisation se fait à la ferme, soit par des commerçants locaux, soit par des groupements coopératifs, de producteurs, S.I.C.A. ou autres organismes. (…) Mais pour valoriser au mieux ses produits, c’est sur les marchés. Parce qu’il y a une concurrence qui existe et qu’on trouve pas là-dedans [dans la vente à la ferme] (…). [On doit] prouver que les bovins se vendent très bien sur un marché. Même mieux parfois. Parce que l’acheteur qui va toujours dans une ferme, il sait ce qu’il fait. Tandis que sur un marché, vu la concurrence qu’il y a… En principe, on valorise mieux sur un marché. »’ Le marché, par la confrontation des bêtes et la concurrence qu’il engendre, permet d’équilibrer les prix, de réaliser de bonnes affaires, mais aussi de maintenir la qualité des bêtes – qui doivent être mieux que les autres. Les marchés aux bovins peuvent fonctionner comme des cartes de visite. En effet, l’éleveur n’amène que quelques-unes de ses bêtes, mais peut proposer à un négociant de passer à la ferme pour voir les autres.

Le technicien à la Chambre d’agriculture, rencontré à Billom, voit dans la fête de l’ail une excellente occasion pour que les producteurs se rencontrent, discutent, réfléchissent ensemble et, peut-être, s’unissent autour d’un projet commun qui serait la demande de reconnaissance par une A.O.C.. L’exemple Corse montre que la fête de la châtaigne a aidé les producteurs à organiser leur filière et à revaloriser leur production. La fête peut ainsi être un appui pour les démarches collectives puisqu’elle permet de réunir des individus derrière un même objectif et d’identifier le groupe constitué.

Les fêtes, les foires et les marchés trouvent leur intérêt dans la confrontation et la rencontre qui répondent à un enjeu collectif : l’ensemble des cours, la promotion de l’A.O.C… Pour les producteurs, ce sont aussi des moyens pour rencontrer le consommateur et échanger avec lui. Non seulement cela les sort de l’isolement dans lequel les a longtemps placés leur profession, mais en plus, cela leur permet d’affirmer leur place dans la production.

Le choix pour la vente directe qui se justifie en opposition de la grande distribution et de l’éviction des intermédiaires nous donne à voir ses enjeux. D’ordre économique, l’intérêt pour la vente directe le dépasse bien plus puisqu’elle permet de renouer avec la maîtrise de la qualité de son produit. Le producteur se réapproprie la phase de commercialisation, mais il se réapproprie aussi son image puisque c’est lui qui va la reconstruire et la mettre en scène pour la donner à voir et à comprendre.