3.1. Les fêtes, les foires et les marchés : mise en exposition des produits

 Les fêtes, les foires et les marchés sont des lieux de commercialisation, où un vendeur et un acheteur échangent un bien de consommation contre de l’argent. Pourtant l’échange ne s’arrête pas là puisque les places marchandes sont, par essence, des lieux de sociabilité. Un lien s’établit entre le chaland et ‘«’ ‘ son’ » marchand qui connaît ses habitudes et, parfois, une partie de sa vie familiale (il est informé des nouvelles des membres de la famille, par exemple). Cela est surtout vrai sur les marchés hebdomadaires. Sur l’ensemble des places marchandes, on observe aussi un échange plus symbolique où ce ne sont plus seulement des produits qui sont vendus, mais un terroir, un mode de vie, c’est-à-dire tout un imaginaire qui enveloppe le produit et que le consommateur attend de trouver.

Dans ce système d’échanges, il est à ajouter un aspect supplémentaire qui apparaît lorsque le consommateur questionne le produit. Il peut s’agir de ‘«’ ‘ la ménagère’ » qui demande par exemple à ‘«’ ‘ son’ » poissonnier comment préparer tel poisson, avec quel accompagnement parce qu’elle n’a pas l’habitude de le cuisiner. Il peut s’agir de la même personne qui demande d’où viennent les tomates ou depuis quand elles ont été cueillies. Mais cela peut aussi être un chaland venu d’une autre région qui ne connaît pas ou peu le produit mais qui souhaite le ramener comme souvenir de vacances. Il demande alors des conseils d’utilisation, de conservation… Parfois, le producteur ou l’éleveur doit aussi convaincre de la particularité voire de la supériorité du produit par rapport au même produit vendu en grande surface.

Sur les marchés destinés à l’approvisionnement quotidien, les questions portent essentiellement sur l’usage du produit. Sur les marchés qui ont lieu durant des vacances et en particulier en période estivale et sur les fêtes et foires annuelles, les questions sont plus générales et visent à comprendre le produit lui-même. Cela permet d’une part aux producteurs d’étendre leur clientèle et, d’autre part, cela peut servir de moyen pour réhabiliter des produits que les individus ont perdu l’habitude de consommer, pour divers motifs.

On observe que c’est sur les fêtes et les foires qu’est le plus exploitée cette dimension de transmission d’informations par les producteurs. Parce qu’elles sont dédiées à un produit précis que les gens viennent découvrir, elles sont particulièrement bien adaptées pour le mettre en valeur en l’exposant et en présentant ses spécificités, et ses techniques de culture. ‘«’ ‘ Informer’ » le consommateur est le maître mot pour les producteurs.

Divers supports ou moyens sont utilisés pour intéresser et informer le consommateur. Tout d’abord, il y a le support visuel qui constitue la première approche que le chaland a du produit. Ainsi le produit utilisé comme élément de décoration est présenté de manière originale, ce qui rend l’étal attractif. En s’avançant vers celui-ci, on découvre le produit et on entre quasiment dans son intimité. Nombreux sont les bancs qui exposent des photos de l’exploitation et des différentes étapes de la culture. Certains producteurs ont réalisé des dépliants, où l’on trouve les horaires de visite de leur exploitation, les différents produits proposés avec leurs prix… Plus rare, certains ont réalisé un ‘«’ ‘ book’ » où sont réunies photos, coupures de presse, recettes de cuisine… Vient ensuite l’échange verbal avec le producteur, qui peut être accompagné de photos, voire de dégustation. A Billom, des tresses d’ail ornent les étaux où sont disposés des dépliants, des photos et un ‘«’ ‘ book’ ». Lorsqu’un passant s’arrête, le producteur, sa femme, leur ouvrier ou leur fils apportent quelques précisions sur un conditionnement, par exemple que l’ail au vinaigre peut servir de condiment en remplacement des cornichons ou que la soupe à l’ail est un produit ‘«’ ‘ maison’ »… Le chaland peut aussi interroger sur le prix, sur la manière de consommer le produit ou de le conserver. Il demande aussi parfois où il peut le retrouver : ‘«’ ‘ sur quel marché vendez-vous’  ? », ‘«’ ‘ Où êtes-vous installé ? »’, ‘«’ ‘ Est-ce que l’on peut venir chez vous ?’ ». Le chaland ne vient pas que pour un achat, il s’attarde sur l’étalage : il regarde tous les produits, il questionne, il goûte, compare, demande l’avis de son conjoint… Le producteur reste avec eux, les accompagne dans leur découverte du produit et répond à leurs interrogations.

Chaque exposant essaie de rendre attractif et esthétique son étal et de vendre ses produits en les faisant mieux connaître. Parfois cette démarche qui vise à faire découvrir le produit est réalisée de manière collective par les organisateurs. Ce n’est alors plus un producteur qui valorise ses produits avec ses propres conditionnements, mais un groupe qui vise à promouvoir un type de produit (la viande bovine), une race (le charolais). C’est ce qu’essayent de faire les organisateurs de la fête du charolais à travers les Rencontres charolaises qui consistent en un repas-dégustation commenté. La filière se rend visible sous forme de stands, de visites commentées organisées. Durant les Quatre Gloriseuses, des visites sont organisées au centre de sélection de Béchanne ou à la Maison de la volaille de Bresse, à Branges. A Saulieu et à Saint-Christophe-en-Brionnais, les filières sont aussi représentées, sous forme de stands – où sont disponibles des dépliants – et de dégustations. A Saint-Christophe-en-Brionnais, outre la visite hebdomadaire du marché aux bovins effectuée par des retraités bénévoles (bouchers ou éleveurs) à l’initiative du maire en 1988, un circuit de découverte de l’élevage a été organisé pour la première fois lors de la soirée pot-au-feu de l’année 1999. Un car promène gratuitement les personnes dans le Brionnais, paysage de bocage, d’embouches, où elles voient paître les bêtes et les conduit près des fermes, d’un fabricant d’aliments et à Oyé, berceau de la race. Chaque étape est commentée. Ces démarches ne visent pas à entraîner un achat immédiat mais à modifier la perception du produit et à modifier les habitudes de consommation, à long terme. Les fêtes, les foires et les marchés présentent un produit qui correspond à une esthétique chargée de notions valorisantes qui le rendent beau et attrayant. Cette mise en valeur favorise l’échange économique ainsi que l’information donnée sur le produit.

Un producteur d’ail fait ainsi observer que cette démarche nécessite d’approfondir ses propres connaissances. ‘«’ ‘ Il faut savoir de quoi on parle. C’est pour ça qu’il faut qu’on ait une documentation la plus étoffée possible et une expérience assez grande. Parce que… y a des gens qui vous posent des questions qui sont complètement à côté de la plaque… Mais enfin, parce qu’ils ne savent pas…(…) Mais y a des gens qui techniquement, vous posent des questions très poussées, très pointues’ » Les questions sont très variées. Cela va de la demande de conseils techniques ‘(’ ‘«’ ‘ j’ai de l’ail dans le jardin ; quand il est haut comme ça, il devient jaune, il fane pourquoi ?’ »), aux vertus médicinales du produit en passant par la demande de conseils sur la conservation, la préparation ou le mode de culture.