3.2.1. Transmettre les techniques de culture et les marques de reconnaissance

Les techniques de culture peuvent être expliquées pour conseiller le producteur amateur qui ne maîtrise pas toutes les pratiques. Mais, la plupart du temps, elles sont brièvement enseignées au client qui apprendra, par exemple, que l’ail pousse comme un poireau. C’est surtout dans le milieu de l’élevage que les techniques sont explicitées donnant lieu à la création de visites commentées, proposées par des associations (comme les Accompagnateurs de la Bresse bourguignonne, à Louhans) ou des membres bénévoles de la filière (comme à Saint-Christophe-en-Brionnais ou à Saulieu), qui vont à la rencontre d’éleveurs et de bouchers. Lors des visites commentées de la Glorieuse, à Louhans, on apprend les différentes étapes d’élaboration du produit, du chaponnage au roulage en passant par la durée d’élevage, la mise en épinette… La démonstration des techniques fait l’objet d’un plus grand intérêt sur les foires et les marchés concernant l’élevage charolais. En effet, la crise de la vache folle a modifié les habitudes de consommation en viande, même s’il est vrai que la race charolaise a été moins touchée que d’autres. La méthode d’élevage et en particulier l’alimentation sont mises en avant. Ainsi, on insiste sur le fait que le charolais est une race allaitante, qu’il est élevé dans les prés et donc qu’il ne mange que de l’herbe, un complément alimentaire sous forme de granulés à base de céréales pouvant être apporté aux culards en fin de préparation. La traçabilité, ses procédures, ses modes de reconnaissance seront détaillés. On présentera par exemple le papier qui suit l’animal à chaque changement de propriétaire ou de lieu (lorsqu’il quitte ou entre sur l’exploitation ou l’abattoir) : le document d’accompagnement des bovins (D.A.B.). Les marques de reconnaissance de l’A.O.C. ou du label rouge sont expliquées ainsi que les conditions d’obtention du label. Les signes d’identification obligatoires sont présentés : sur les boucles (aux oreilles des bovins) doivent se trouver le pays d’origine, le département de naissance, le numéro d’identification qui se trouve sur le D.A.B.. Dans le commerce, les étiquettes doivent présenter le numéro d’agrément, le numéro de lot, le nom du morceau, celui du pays et le prix. Quelques informations peuvent être signalées mais ne sont pas obligatoires : les lieux de naissance, d’élevage et d’abattage. Les bêtes qui ont un label sont identifiées par l’apposition du logo. Les conditions d’élevage ou de commercialisation contenues dans la charte qui définit l’appellation sont explicitées : durée d’élevage, périmètre, zone de parcours, alimentation… Un des éleveurs qui participent à des visites commentées à Saulieu se félicite des efforts faits par sa profession et celle des bouchers en matière de traçabilité et de communication, et constate : ‘«’ ‘ ce que j’ai l’impression de temps en temps, c’est qu’ils savent pas où demander les informations, et puis ils ont tendance à se perdre dans tout ça ’». Il ajoute que ces personnes sont très à l’écoute et très observatrices : ‘«’ ‘ ils ont dit : "tiens il y a des animaux qui ont une boucle, d’autres qui en ont deux, y en a qui n’en ont pas". Ils y voient. Surtout là, les animaux, ils bougent pas… que dans les prés, ils y voient pas.’  »

Les marchés et surtout les fêtes et les foires permettent de prendre le temps pour expliquer des techniques à un individu ou à un groupe et pour reconnaître des signifiants. Toutefois, cette transmission n’est pas totale. Tout d’abord elle passe essentiellement par les discours et très peu par l’observation de savoir-faire et encore moins par une implication physique du visiteur. De plus n’est transmise qu’une partie des savoirs. Ainsi, à Billom, les producteurs qui ont déposé une marque sur la fabrication de la soupe à l’ail ne donnent de la recette ‘«’ ‘ que ce qu’on a bien envie de vous dire »’. Ils ont inventé cette recette d’après des livres de recettes familiales et en ont quelque peu modifié les proportions et les ingrédients, la quantité de poivre a été diminuée et le beurre a été retiré pour des raisons techniques qui auraient nécessité la création d’un laboratoire et le contrôle de la D.S.V. (dès lors qu’un produit issu d’animaux entre dans la composition). Les proportions et surtout les 14 épices intégrées au produit sont tenues rigoureusement secrètes. De même, les éleveurs de volailles gardent pour eux les astuces qui font leur spécificité et leur atout. Une certaine alimentation, l’utilisation d’une technique particulière au moment du roulage modifient la couleur de la chair ou sa forme.

Pour les explications collectives – qui ne sont pas délivrées par l’éleveur lui-même mais par un ensemble de représentants de la filière – , c’est la filière et l’élevage dans leur ensemble qui sont présentés. C’est le produit qui est expliqué ainsi que les techniques qui ont fait l’objet d’une reconnaissance collective. On a affaire à un discours globalisant, uniformisé qui ne tient pas compte des particularités propres à chaque éleveur ni des tensions ou des conflits internes à la filière. Ceux-ci apparaissent dans le débat public par voie de presse : un producteur d’ail écrira un article dans la presse locale où il dénonce les pratiques de certains de ses collègues. Les tensions qui ont éclaté au sein du C.I.V.B. lors de l’adoption d’une nouvelle race de volaille de Bresse ont par exemple été relayées par la presse locale. Néanmoins les points critiques ou controversés peuvent apparaître à ces occasions. Ils ne sont généralement pas destinés au public lui-même mais aux personnalités politiques présentes. Ces manifestations permettant de rassembler à la fois une filière réunie et des sommités, elles sont l’occasion, pour la première, de faire passer des messages aux seconds, comme ce fut le cas à Saulieu en août 2001. M. Patriat alors secrétaire d’Etat chargé des P.M.E., du commerce, de l’artisanat et de la consommation a ainsi été vivement interpellé par un groupe d’éleveurs qui entendaient parler des difficultés conjoncturelles qu’ils subissaient.