3.2.4. Transmettre les pratiques culinaires

Que les produits soient connus ou non des consommateurs, ils demandent un apprentissage des pratiques culinaires. Pour apprécier un produit, il faut apprendre à le connaître mais il faut aussi apprendre à le consommer selon la manière qui révèlera ses saveurs et sa texture. Il s’agit ainsi d’enseigner à valoriser au mieux un produit, mais aussi de faire découvrir de nouvelles pratiques régionales ou de cuisiner un produit que le consommateur n’a pas l’habitude de préparer et de déguster. Ainsi, pour apprécier la chair persillée de la volaille de Bresse et tout particulièrement celle des chapons et des poulardes, il est recommandé de la laisser cuire longtemps (2h30-3h) à feu doux. Il est vivement déconseillé de faire preuve d’impatience en ne la laissant qu’une heure à four chaud, ce qui la dessècherait. Lors de différentes visites guidées, beaucoup ont fait remarquer qu’ils trouvaient la volaille de Bresse trop sèche. Une rapide discussion mit vite en évidence un mauvais usage de la cuisson. Un article intitulé ‘«’ ‘ goûtez la différence’ » et édité par le Comité interprofessionnel de la volaille de Bresse fait reproche à ‘«’ ‘ une préparation qui aurait pour résultat de faire sortir de la volaille la plus grande partie de l’eau de constitution et de la graisse intramusculaire, constituerait une hérésie culinaire ’».

L’apprentissage d’un savoir culinaire, de recettes, permet de cuisiner des produits que le consommateur ne connaît pas ou peu. Il en va ainsi des petites productions locales, comme le piment d’Espelette, très utilisé au quotidien dans la région, comme on use du poivre. Le piment agrémente de nombreux plats traditionnels locaux ainsi que les charcuteries ou les omelettes. ‘«’ ‘ Y a des habitudes, aussi… Parce que dans le Nord, le piment, c’est pas très apprécié… Plus on va dans le Sud, plus on aime les épices’ » fait observer une productrice de piment, présidente du Syndicat du piment d’Espelette, qui parallèlement au dossier de demande d’A.O.C., cherche à trouver de nouveaux débouchés. Elle valorise notamment la collaboration avec des grands chefs cuisiniers qui élaborent de nouvelles recettes contenant du piment d’Espelette. Des recettes sont ainsi créées pour toucher un plus grand nombre, s’adapter aux saveurs et en faire découvrir de nouvelles. Souvent, des dépliants contenant deux ou trois recettes traditionnelles pour cuisiner le produit sont donnés au client. A Saint-Aubin, la place aux innovations culinaires ou au maintien d’anciennes pratiques est possible grâce à l’organisation d’un concours de recettes créé dans l’objectif de promouvoir la consommation du pruneau et d’en diversifier l’usage.

Il s’agit ainsi de faire découvrir de nouveaux goûts et de les intégrer dans des pratiques culinaires. Les fêtes, les foires et les marchés peuvent aussi être l’occasion de découvrir la façon locale de cuisiner un produit. Les goûts et les habitudes culinaires varient d’une région à l’autre. Mais on remarque aussi qu’un même produit n’est pas cuisiné de la même façon partout. C’est ce qu’observent L. Bérard et Ph. Marchenay à propos de la châtaigne qui fait l’objet de différentes pratiques selon que l’on se trouve en Corse ou en Ardèche (le châtaignon que l’on trouve en Ardèche est inconnu en Corse alors que la farine utilisée en Corse est inconnue en Ardèche). Les recettes varient même d’un foyer à l’autre, chaque famille ayant ‘«’ ‘ son secret’ » de fabrication, son coup de main. Les fêtes, les foires et les marchés, qui sont un des moments de découverte d’une région, peuvent permettre de s’approprier un mode de consommation locale et de le transporter chez soi pour le reproduire et ainsi retrouver le ‘«’ ‘ goût »’ des vacances.

Ces diverses informations que les producteurs souhaitent voir transmettre aux consommateurs ont pour fonction d’aider à mieux connaître les produits afin de changer les comportements, les habitudes de consommation et donc d’étendre la commercialisation et de favoriser la production. La rencontre avec les producteurs, les restaurateurs ou les défenseurs du produit se donne pour objectif la modification des usages alimentaires. Le producteur souhaite voir augmenter sa production et revaloriser la qualité des produits consommés.

Les différents éléments d’information ne sont pas exploités de la même manière sur tous les sites. Selon le type de produit et l’objectif recherché, un élément sera privilégié à d’autres. Les éleveurs de bovins espèrent rassurer les consommateurs et entraîner la consommation de parties de l’animal peu utilisées dans les pratiques culinaires contemporaines afin d’optimiser sa commercialisation. Deux types d’actions distinctes mais inséparables sont mises en œuvre à cet effet : la promotion ou la communication sur les produits et la lutte contre la concurrence. Ces deux actions se différencient par les chemins qu’elles empruntent et par les supports qu’elles utilisent. La première est une technique de communication alors que la seconde utilise les lois et réglementations officielles. La simple promotion du produit vise à encourager la demande pour faire augmenter l’offre, donc étendre le marché. De nombreuses productions sont en effet très localisées et l’usage en est limité géographiquement. Les fêtes, les foires et les marchés sont un des moyens pour développer la consommation du produit en proposant aux visiteurs extérieurs d’intégrer des connaissances et des pratiques. Aujourd’hui, la transmission de savoirs et de savoir-faire n’est plus limitée aux cadres familial et local. Elle s’ouvre à d’autres régions que celles de production mettant ainsi en concurrence les produits et les pratiques issus de chacune d’elles. L’apport d’information permet ainsi d’apprendre à reconnaître un produit et de le distinguer par rapport à d’autres du même type. Les deux raisons qui justifient la transmission d’informations s’inscrivent dans une même démarche puisque toutes deux entrent dans un processus d’identification – et donc d’exclusion – des spécificités des produits et qu’elles sont suscitées par des visées économiques. En effet, apprendre à connaître et à reconnaître un produit, c’est-à-dire à l’identifier, c’est tout à la fois discerner ses spécificités et son originalité et le distinguer des autres produits. Ainsi la présentation de la plupart des produits telle que nous avons pu l’observer passe souvent par la comparaison avec d’autres produits afin d’en souligner la différence ou la supériorité.