Communiquer sur un produit, c’est d’abord en parler et le montrer. On se souvient tous des publicités télévisées qui, il y a quelques années, nous invitaient à manger du pruneau d’Agen. Orchestrées par le Bureau interprofessionnel du pruneau d’Agen, ces publicités, financées par les cotisations de chaque pruniculteur, visent à relancer la consommation. En effet, suite à des aides européennes versées aux producteurs pour s’équiper en matériel (de séchage, de récolte…), la production de pruneaux a été relancée alors que la consommation stagnait. Généralement, la publicité commanditée par le comité interprofessionnel sert à relancer la demande du consommateur pour un produit ou à le faire préférer. Il ne s’agit pas de l’informer sur le produit mais de le lui faire consommer. Pourtant il est parfois nécessaire que les campagnes de promotion s’appuient sur une communication sur le produit et la filière. Chaque intervenant de cette dernière est alors amené à se mobiliser.
A Saulieu, cette communication a deux usages : modifier les nouvelles pratiques alimentaires quotidiennes et rassurer le consommateur inquiet des effets de la vache folle afin de relancer la consommation. Dans le premier cas, les organisateurs de la fête du charolais (éleveurs ou rattachés à la Chambre d’agriculture) observent deux tendances, dans les habitudes de consommation, qu’ils souhaitent voir changer. Elles ont fait l’objet d’un débat lors d’une table ronde le 21/08/99, sur le Comice : les préparations culinaires et le végétarisme.
En France, on observe en effet, que toutes les parties du bœuf ne se consomment pas de manière égale. Ainsi on note que c’est sous forme de beefsteak qu’il est le plus cuisiné. De manière générale, la consommation française se porte majoritairement vers les arrières de la bête alors qu’en Allemagne les avants sont plus demandés, ce qui permet de compenser en faisant des échanges. La fête du charolais, par des dégustations commentées, permet de redécouvrir certaines parties délaissées comme l’araignée ou la queue de bœuf et de les retrouver ensuite chez son boucher. Le restaurateur présent aide à conseiller sur le mode de cuisson de chaque partie (poêlée, grillée…) pour valoriser au mieux ses saveurs. La réduction des façons de consommer le bœuf provient d’une méconnaissance de l’ensemble des parties du bœuf et de l’évolution des modes de vie. Le travail des femmes et les nouveaux temps de vie ont conduit à abandonner les viandes à cuisson lente, comme le pot-au-feu 161 . Une solution est apportée par un technicien de la Chambre d’agriculture qui suggère un nouveau conditionnement pour le pot-au-feu, préparé de manière raffinée, avec de bons produits de base et présenté sous emballage, prêt à consommer. Cette solution qui lui semble tout à fait envisageable, raisonnablement, demande la création d’un produit adapté au mode de vie ‘«’ ‘ moderne’ » tout en restant ‘«’ ‘ traditionnel’ » puisqu’il renoue avec un mode de consommation autrefois très développé et qu’il utilise des produits de qualité. Il n’est pas contradictoire de parler d’innovation ou de progrès au sujet des techniques d’élaboration des produits de terroir ou de leur mode de consommation. A travers l’observation des procédures de labellisation A.O.C. de trois fromages, M.Faure a décrit la négociation entre éléments de tradition et de modernité. La patrimonialisation ne désigne pas des objets figés dans un passé. Elle se définit au contraire par la réinterprétation de ce passé par des problématiques contemporaines. Les changements et la modernisation sont d’ailleurs souvent exigés par les normes sanitaires et par l’évolution des pratiques de consommation des individus.
Un autre comportement contribue à enregistrer une baisse de consommation de la viande : l’augmentation du nombre de végétariens. Cette pratique est plus difficile à changer, mais M. A., conseiller technique à la Chambre d’agriculture, résume ce que pensent aussi d’autres personnes qui, comme lui, se régalent de viande : ‘«’ ‘ il faut apprendre, notamment aux jeunes générations que la viande, c’est un produit noble… C’est indispensable. Ça apporte…(…) Les végétariens contesteront, mais… on est omnivores, on n’est pas faits pour manger que des salades. »’
La fête sert aussi à communiquer de manière générale sur l’élevage bovin par des commentaires, des visites, des explications parfois très détaillées de toute la filière. Les actions qui visaient à relancer la consommation de viande ont dû être renforcées par des rencontres plus nombreuses entre les consommateurs et les éleveurs et des explications plus fines afin de pallier la crise de la vache folle. Bien que la race charolaise ait été moins touchée que d’autres, de nombreuses campagnes de séduction ont été lancées par le Bureau interprofessionnel (publicités écrites ou télévisées) et de manière ponctuelle, par les éleveurs. Des dégustations gratuites ont été organisées, les informations grand public se sont faites plus nombreuses. On observe que les éleveurs ont fait des efforts pour s’adresser aux consommateurs et pour aller vers lui. Les différents supports médiatiques et promotionnels ont été utilisés afin de rendre plus transparentes les méthodes de travail et informer le public sur les produits qu’il peut trouver dans le commerce. Le dialogue avec les bouchers a été renoué, ceux-ci se prêtant volontiers au jeu et participant même à l’organisation d’actions. Avec eux, les éleveurs ont cherché à sensibiliser les consommateurs par des actions publiques. Ils se rendent par exemple sur des marchés hebdomadaires pour proposer des dégustations ou ils organisent spécialement une manifestation festive pour communiquer. Ces manifestations sont un moyen convivial pour que les consommateurs soient informés et rassurés et conservent leurs pratiques.
Dans ces cas précis, on voit que les éleveurs et les bouchers se mobilisent pour se réapproprier la commercialisation de leur produit. Dans des périodes de crise, la rencontre, l’échange avec le consommateur s’avèrent nécessaires. Ajouter une dimension humaine en contrepoids du système de grande distribution rassure le consommateur. Des actions de promotion sont privilégiées dans ces périodes troublées afin de réconcilier le consommateur avec le produit, en rapprochant production et consommation. Les fêtes sont des actions de promotion particulièrement adaptées et appréciées car efficaces. L’esprit du visiteur est disposé à la distraction, ouvert, disponible mais aussi, curieux de recevoir des informations ‘«’ ‘ sérieuses’ ». Ainsi, bien que fêtes et foires aient un aspect plutôt festif, elles n’excluent pas d’aborder des thèmes essentiels. Au contraire, nous avons fait remarquer que les fêtes et les foires répondaient parfaitement à un besoin d’échange, de dialogue entre producteurs et consommateurs. Celles-ci deviennent des espaces d’expression pour les producteurs. Ces derniers privilégient ces manifestations pour reprendre en main la commercialisation et la valorisation de leurs produits en allant à la rencontre des consommateurs. Ils se réapproprient l’image du produit et de leur travail pour ne pas rester passifs et impuissants face aux crises et aux circuits de la grande distribution.
Par ailleurs, les fêtes et les foires sont pleinement inscrites dans une réalité économique concrète. Les fêtes et les foires reflètent cette réalité (à travers des discours officiels ou individuels, des tracts, des manifestations publiques) avec laquelle les producteurs essaient de travailler. Une fête pourra marquer une étape de la démarche de labellisation (en faisant la promotion du produit, en rendant visible la filière, en rendant publique cette démarche qui sert aussi à ce que chacun se l’approprie). Une foire pourra aider à sensibiliser les consommateurs et à promouvoir un produit. J.-C. Garnier et F. Labouesse distinguent trois usages distincts de la fête selon trois catégories d’organisateurs, chacun proposant sa propre vision de la fonction de la fête : ‘«’ ‘ Dans ces conditions, c’est moins la référence à une image traditionnelle de la transhumance qui est sollicitée que la présentation de l’élevage comme activité économique d’aujourd’hui, avec ses qualités et ses problèmes.’ » 162
Notons qu’en 1999 une étude menée par le Gira et IPSOS pour la collective du sucre auprès d’un millier de chefs en France montre que le pot-au-feu est placé en tête des plats et recettes à transmettre au troisième millénaire, avec 43% (63% des chefs ont choisi le foie gras comme étant l’entrée emblématique, phare de notre culture gastronomique et de leur savoir-faire et en dessert, 43% ont choisi la tarte tatin (dossier de presse de la Semaine du goût, 14/09/99, p.5). Outre ce plat, les chefs ont désigné la blanquette de veau (25%) et la volaille de Bresse rôtie (23%) qui sont, d’après eux, des plats « conviviaux », « à forte notoriété » et qui traverseront le temps.
J.-C. Garnier, F. Labouesse : « Quand société et ruralité renouvellent leur relation. Les fêtes de transhumance dans le Midi méditerranéen » in Campagnes de tous nos désirs, 2000, p.127.