3.3.2.3. Une qualité éprouvée sur les foires et les fêtes

La qualité est aussi testée sur le lieu même de la manifestation. Ainsi, sur les concours bovins, des contrôles sont effectués par les services vétérinaires. Depuis 10 ans, des prélèvements d’urine et de poils sont réalisés pour vérifier l’absence d’hormones de croissance sur les bêtes tirées au sort. Aucun cas positif n’a été relevé. Non seulement ces contrôles sont obligatoires (c’est le Comice qui en fait la demande, pour asseoir sa crédibilité), mais ils rassurent le consommateur. Loin de s’en offusquer, les éleveurs réclament ces contrôles pour justifier leur honnêteté et celle de leur travail. C’est une façon de montrer leur bonne foi et de redorer l’image de la profession.

La notion de qualité peut être utilisée pour désigner l’ensemble de la manifestation : son ambiance, son organisation… qui sera à l’origine de la fidélisation du public, comme cela fut exprimé à Saint-Aubin où les organisateurs se disent très attentifs et ‘«’ ‘ assez sévères au niveau de la qualité du produit, de la présentation, de l’aspect général du stand. (…) Si notre foire est décorative, si elle est accueillante, le visiteur, il va revenir. »’

Plusieurs producteurs feront remarquer que de l’appréciation des produits dépend la fidélité ou non de la clientèle. ‘«’ ‘ Les gens recherchent la qualité. Donc, d’une année sur l’autre, ils reviennent. Si on les a trompés, ils reviennent pas’ », remarque une productrice d’ail qui ajoute qu’à l’inverse, comme les clients prennent des cartes de visite, ils conservent le nom du producteur et peuvent à nouveau se réapprovisionner chez lui s’ils ont été satisfaits. Pourtant, des producteurs critiquent le niveau de qualité des produits sur ces manifestations. En effet, certains dénoncent le fait que quelques personnes ‘«’ ‘ indélicates’ » profitent de l’occasion pour écouler des produits de moins bonne qualité aux touristes – par définition ‘«’ ‘ naïfs ’» – et gardent leurs meilleurs produits pour les connaisseurs. Ces pratiques sont mises à l’index à Billom et à Romans. Les personnes qui recourent à de telles pratiques sont très critiquées ‘«’ ‘ parce qu’après, ça donne une mauvaise image du produit.’ »

Une autre pratique est dénoncée : la concurrence déloyale. En effet, à la fête de l’ail, à Billom, les prix sont libres et non uniformisés, ce qui n’est pas le cas partout. Certains sont accusés de casser les prix et donc le marché. Parfois, ceux qui profitent de la naïveté des touristes usent de pratiques décriées : ‘«’ ‘ ça c’est ceux qui produisent beaucoup, en général, et qui veulent se débarrasser »’ remarque ce producteur méfiant envers les grosses productions.

Cette pratique est considérée comme déloyale. ‘«’ ‘ Les gens regardent la qualité et le prix. D’abord la qualité. Quelqu’un qui s’y connaît, il va voir la différence. Mais à la limite, quelqu’un qui s’y connaît pas, il regarde d’abord le prix’ », observe un producteur d’ail. Cela est d’autant plus désapprouvé que les producteurs estiment que la qualité a un coût. En effet, celui-ci se justifie d’abord en compensation des contraintes (pour le travail et le temps consacrés, le matériel adapté…) et des attentions toutes particulières portées au produit. De plus, nous avons pu observer que les consommateurs trouvent ‘«’ ‘ normal’ » qu’un produit de qualité doive se payer plus cher qu’un produit ‘«’ ‘ de base’ ». ‘»’ ‘ Ici, ce sont de bons produits (…). Ils sont plus chers que dans le commerce, mais au moins, on sait qu’ils sont bons’ » entend-on souvent. Si cette garantie est apportée au consommateur, celui-ci se dit prêt à payer plus cher. M. Faure qui a étudié la patrimonialisation des fromages A.O.C. suppose que ‘«’ ‘ la valeur marchande dépendrait de la valeur patrimoniale’ ‘ 163 ’ ‘ »’. Cette dernière engendre une plus-value. Réciproquement, on remarque aussi que la valeur financière apporte une valeur symbolique à l’objet : il faut le mériter, ce n’est pas un produit banal, ordinaire. C’est pourquoi, dévaluer son prix peut être perçu comme la dévalorisation du travail effectué. Quelques producteurs peu scrupuleux peuvent anéantir ou faire se rebeller des producteurs consciencieux, fiers de leur travail et soucieux de sa qualité. Pour les producteurs, le prix permet de faire prendre conscience des soins particuliers qui ont été prodigués au produit. Pourtant, ce ne peut être le cas systématiquement. Encore faut-il montrer sa singularité et correspondre effectivement à la valeur qu’il s’attribue.

La démarche d’information du public vise aussi à relever le défi de la concurrence. Nous venons d’évoquer une concurrence interne, des producteurs critiquant des confrères peu scrupuleux, peu intéressés par l’élaboration de produits de qualité… Mais la concurrence provient surtout de l’extérieur, c’est-à-dire avec des producteurs installés dans d’autres régions ou d’autres pays comme nous l’avons vu plus haut au sujet du pruneau. Une production seule ne peut satisfaire le marché, d’autant plus si elle est saisonnière. Ainsi à Billom où l’ail se récolte en juillet, les réserves sont épuisées au printemps, période où sont importés des ails étrangers et particulièrement d’Espagne.

Les pratiques frauduleuses ne sont pas rares conduisant parfois à la demande d’une protection. C’est en 1993, lorsque de jeunes agriculteurs ont constaté que du piment d’Espagne était vendu sous l’appellation ‘«’ ‘ piment d’Espelette’ » que le dossier de demande d’A.O.C. a été lancé. En effet, des piments d’Afrique, d’Espagne, du Maroc et du Sud en général, déferlaient sur le marché. ‘«’ ‘ Le piment d’Espelette se vend 200 F le kilo et un piment d’Espagne se vend 30 F le kilo. C’est pour ça qu’y a fraude. (…) Et nous ce qu’on veut aujourd’hui, c’est que le nom ’ ‘«’ ‘ piment d’Espelette » corresponde bien à un produit de qualité (…)’ ». L’appellation veille ainsi à protéger la spécificité de la production et à maîtriser les fraudes. Tendant vers la recherche de qualité à travers la garantie apportée par un label, les producteurs ne peuvent tolérer que des produits de médiocre qualité trompent le consommateur pour bénéficier des avantages économiques qui dégradent, par ailleurs, l’image du produit dont il prend le nom.

Notes
163.

M.Faure : Du produit agricole à l’objet culturel. Le processus de patrimonialisation des productions fromagères dans les Alpes du Nord, 2000, p.279.