4.1.1. Le marché donne une identité au produit

Un même produit sera perçu différemment selon qu’on le trouve sur un marché ou dans un supermarché, même si ‘«’ ‘ les forains sont les premiers à reconnaître que leur marchandise est globalement la même que celle proposée dans les boutiques’. » 166 Pourtant les consommateurs estiment que l’on trouve de ‘«’ ‘ bons’ » produits sur les foires et les marchés et même meilleurs que dans la grande distribution. Ils ont une image très positive des marchés, même s’ils ne les fréquentent que plus rarement.

‘« Il est certain que, parmi les jeunes en particulier, les « grandes surfaces » ont des attraits indéniables, tant sur le plan économique que sur le plan pratique. On y trouve toutes sortes de marchandises, à des prix souvent intéressants ; on peut s’y garer facilement ; et leurs horaires conviennent assez bien aux personnes qui travaillent. » 167

Comme le montre M. de la Pradelle, le marché est un grand théâtre où l’illusion règne en maître. Tout laisse à croire que les produits sont différents. Le produit trouvé, ramené du marché devient un produit exceptionnel. Sur le marché, le produit est sublimé. Il devient beau et bon. Les produits alimentaires sont jugés plus beaux, de meilleure qualité et sont toujours soulignés pour leur fraîcheur. Les légumes viennent d’être ramassés et les fruits sont à peine cueillis. Les fromages et les saucissons sont faits maison… Les places marchandes qui nous intéressent ici, possèdent un produit relevant du patrimoine culinaire de la région. Ils semblent ainsi plus éloignés des produits industriels ou standardisés. Et ce, d’autant plus que ce sont les producteurs eux-mêmes qui viennent les proposer. Tout tend à souligner les aspects ‘«’ ‘ naturel’ » et ‘«’ ‘ artisanal’ », comme pour mieux se distinguer de l’univers ‘«’ ‘ hypermoderne’ » des grandes surfaces où les produits sont standardisés.

Parce que les producteurs sont présents – ou parce qu’on croit qu’il s’agit des producteurs – on imagine l’élaboration du produit, frais, naturel. Les fêtes, les foires et les marchés entretiennent un lien à la nature et conservent soigneusement leur forme archaïque avec une volonté affirmée de se démarquer des grandes surfaces. Pour certains consommateurs, préférer les marchés aux grandes surfaces n’est pas qu’une affaire de choix économique, c’est aussi se placer en critique d’un mode de vie moderne, urbain et impersonnel que représentent ces grandes surfaces. La plupart du temps, les fêtes, les foires et les marchés sont utilisés en complément des grandes surfaces. On leur réserve ainsi l’achat des produits frais et des produits locaux. Sur une fête, on se devra d’acheter le produit phare. Beaucoup de consommateurs – qui se rendent par ailleurs sur les foires et les marchés – se disent néanmoins convaincus de la qualité des produits qu’ils trouvent dans leur grande surface.

Pour répondre aux besoins des consommateurs, on remarque qu’un phénomène nouveau se répand. Voulant occulter leur appartenance trop pesante au monde industriel aux notions de ‘«’ ‘ déshumanisé’ », ‘«’ ‘ froid », ’ ‘«’ ‘ aseptisé’ »…, les grandes surfaces cherchent à retrouver un lien à la nature. On note ainsi que, de plus en plus, les grandes surfaces construisent leur propre marque autour de produits de terroir, aux noms évocateurs : ‘«’ ‘ Terres de saveurs’ », ‘«’ ‘ Reflets de France »’… De plus, les grandes surfaces imitent les marchés dans la ‘«’ ‘ mise en scène’ » des rayonnages. Ils essayent de recréer l’illusion du marché, allant même jusqu’à inviter le marché. Un reportage diffusé le 11/05/2000 dans l’émission ‘«’ ‘ Envoyé spécial’ », sur France 2, montrait l’installation ponctuelle des petits producteurs locaux dans les rayons des magasins Leclerc. Ceux-ci se justifiaient, comme pour s’excuser de cette sorte de trahison : ‘«’ ‘ il faut aller là où se trouve la clientèle ». Ainsi’ les grandes surfaces tentent de changer leur image pour répondre aux attentes des clients en se rapprochant de l’image valorisante des marchés et en les imitant. A travers des produits de terroir mis en scène, voire proposés par le producteur lui-même, l’objectif est de rendre plus rassurants et plus humains ces lieux de consommation de masse. Tandis que le producteur s’y rend à la recherche d’une nouvelle clientèle.

Ainsi, les fêtes, les foires et les marchés modifient le regard que l’on porte sur les produits, par différentes mises en scène. Mais c’est aussi une vie locale qui se découvre à travers des produits.

Notes
166.

M.de la Pradelle, op.cit.,1996, p.163.

167.

J.Lindenfeld : « Places marchandes et évolution urbaine : Grenoble et Rouen » in Le Monde alpin et rhodanien, 1984, p.123.