4.2.2.2. Un produit prétexte à la fête

Concernant les quatre fêtes étudiées (Espelette, Saint-Aubin, Romans et Billom), l’origine relativement récente est expliquée avant tout par la volonté de faire une fête, une animation de village destinée à maintenir le tissu social local et à distraire les touristes. ‘«’ ‘ Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse’ », pourrait-on presque dire. En effet, ce n’est pas le produit en soi qui est important mais plutôt le fait que le produit puisse fournir le prétexte d’une animation. Ainsi à Romans, M. V., restaurateur qui, par l’intermédiaire de l’association Jacquem’arts, organise des concerts tout l’été, décide de créer une nouvelle fête en 1985 : ‘«’ ‘ comme y a la fête du picodon, comme y a la fête de n’importe quoi… du foie gras ou du calisson d’Aix. Et la raviole n’avait pas de fête. Donc il en fallait une ».’ S’il n’est pas seul présent sur la manifestation, le produit occupe néanmoins la place centrale et c’est pour lui que l’on vient en priorité. Les stands sont généralement décorés avec soin ; un ensemble esthétique est souvent recherché et chacun tend également à se distinguer de son voisin pour attirer vers lui le chaland. Des produits originaux ‘«’ ‘ faits maison’ » permettent aussi de créer l’originalité d’un exposant par rapport à un autre (exemple à Billom : soupe à l’ail, apérail…). Si la plupart des fêtes voient une rangée de différents stands du même produit, à Romans, pognes et ravioles ont chacun leur stand tenus par l’ensemble du syndicat (mis à part un boulanger isolé).

Discours, concours… tout est dédié au produit phare de la manifestation. Transformé par différentes mises en valeur, il devient produit de fête et produit prétexte à fête. Le produit ‘«’ ‘ invite’ » à faire la fête puisqu’il peut être l’occasion de grands repas conviviaux suivis de bals et qu’il rassemble les populations.

Ce qui est surtout mis en avant sur ce type de manifestation, c’est le côté festif, divertissant, l’objectif étant surtout l’animation du village. Cette animation se prolonge d’ailleurs dans certains cas tout au long de l’année comme à Saint-Aubin, où toute la population est présente (ou représentée) lors des veillées hebdomadaires destinées à la confection des décorations du village. Les fêtes sont avant tout destinées à animer une ville et la vie locale pour les rendre attractives. A l’origine de la création, ce n’est pas un produit que l’on cherche à valoriser mais plutôt une ville à travers un de ses atouts : un produit gastronomique caractéristique. Celui-ci va permettre de fédérer divers individus comme les populations locales ou touristiques car il fait partie des pratiques culinaires des uns et parce qu’il évoque un lieu pour les autres. Ce ne sont pas des producteurs qui sont à l’initiative de la création de la fête mais des personnes qui veulent animer une commune et la faire connaître.

Ce n’est donc pas n’importe quel produit qui est choisi puisqu’il doit tout de même être représentatif de la région, de l’économie locale. Pour être valorisé, il faut que le produit ait déjà une certaine valeur, qu’il mérite d’être fêté. Il le mérite non pour ce qu’il est mais pour ce qu’il représente. Cette valeur n’est pas marchande mais bien symbolique. Les auteurs de Ville, espace et valeurs ont mené une réflexion sur la ‘«’ ‘ création symbolique’ » et observent que, si le temps – qui passe – peut apporter du sens par les échanges qui se seront effectués en un lieu, ‘«’ ‘ le temps ne suffit pas, s’il n’y a pas aussi production de ce langage commun [sur ce lieu] .»’ ‘ 182 ’ Il faut qu’il y ait partage de mêmes symboles, qu’une communauté se retrouve dans ce lieu pour lui donner du sens, qu’il fasse sens pour la communauté et qu’il appartienne à leur mémoire collective. Il en va de même pour le produit agricole qui appartient à leurs pratiques de production et/ou de consommation. Néanmoins, ce langage commun n’est pas limité à cette seule communauté puisque d’autres langages peuvent être partagés ou rencontrés sur un même lieu. ‘«’ ‘ Des objets peuvent être valorisés pour les uns et non pour les autres, ou les mêmes objets peuvent être valorisés par plusieurs groupes pour des raisons différentes.’ » 183 Ainsi, G. Jeannot montre que l’objet patrimonial supporte l’accumulation de plusieurs perceptions portées sur lui que ce soit par des populations locales, les touristes ou les acteurs culturels. ‘«’ ‘ Le patrimoine dans chacune des histoires de sa valorisation remplit la fonction de mise en relation (en équivalence) de réalités distinctes : éthique, esthétique, idéologique, scientifique, et ne se réduit pas à un ’ ‘«’ ‘ besoin de passé » ou ’ ‘«’ ‘ besoin de racines ».’ 184 Le produit de terroir se retrouve bien ici puisqu’il est souvent utilisé dans les enjeux identitaires de définition et de représentation de soi. Fêter un produit de terroir, c’est aussi mettre en valeur son identité, sa culture et la faire partager aux ‘«’ ‘ autres’ ».

La différence notoire qui permet, au final, de distinguer une foire d’une fête, provient du statut que l’on accorde à chacune d’elles et aux produits qu’elles proposent. Ainsi, rappelons que les foires, destinées avant tout aux professionnels de la filière, ont un caractère sérieux, solennel, alors que les fêtes, ouvertes à tous, ont un caractère plus ludique et festif.

Les foires étudiées ici sont des concours reconnus par le milieu professionnel comme étant de très haute qualité, les éleveurs eux-mêmes convenant ne pas tous préparer des bêtes de concours vu le travail considérable que cela demande. On peut d’ailleurs remarquer au passage qu’il s’agit ici de concours d’animaux morts (les Quatre Glorieuses) ou vifs (charolais) qui, dans leur catégorie, sont exceptionnels. Les bêtes comme les concours sont considérés comme ‘«’ ‘ prestigieux’ » dans le milieu professionnel.

Ainsi, on remarque que les différents rapports que ces manifestations entretiennent au temps entraînent des mises en valeur distinctes en rapport également avec le type de manifestation (professionnelle ou tout public). Les marchés appartiennent au temps de l’ordinaire, du quotidien et le produit de ‘«’ ‘ marché’ » est réservé à l’approvisionnement courant. Au contraire, les fêtes et foires annuelles, inscrites dans le temps de l’exceptionnel et du festif, valorisent le produit, le parent de tous les honneurs et le transforment en produit extra-ordinaire. Des sortes d’hommage lui sont rendus et, pour un temps, il est le Roi de la fête. Si les foires sont tournées vers la valorisation de la filière, les fêtes jouent plutôt un rôle dans l’animation.

La mise en valeur des produits entre aussi et surtout dans le jeu de la commercialisation puisque la mise en lumière des techniques, la démonstration d’une qualité et la découverte de nouveaux goûts doit modifier leur mode de consommation.

Notes
182.

J. Duvignaud : « Relecture d’Halbawchs : représentations collectives et valeurs de l’espace », in J.-L.Gourdon, E.Perrin, A.Tarrius, Ville, espace et valeurs, 1995,p.154.

183.

G.Jeannot : « Les associations de sauvegarde et la constitution d’une valeur du patrimoine », in J.-L.Gourdon, E.Perrin, A.Tarrius, Ville, espace et valeurs, 1995, p.230.

184.

Ibid., p.231.