5.1.1.1. De la nécessité d’aller sur la foire ou sur le marché

Les marchés hebdomadaires sont particulièrement propices à l’élaboration de pratiques ritualisées. L’habitué effectue le même tour de marché, montre une fidélité sans faille aux commerçants chez qui il sait que les produits comme les conseils sont excellents, rencontre des connaissances et retrouve des amis au café ou au salon de thé… Sur les fêtes et les foires, on repère l’habitué en ce qu’il connaît le lieu (parfois il donne des explications à ceux qui l’accompagnent), le produit (qu’il sait où acheter) et les passants (qu’il salue ou qu’il retrouve). L’habitué est parfaitement intégré au lieu.

Si les pratiques ne peuvent être semblables du fait de la nature différente des événements, ces personnes expriment toutes la raison de leur venue par sa ‘«’ ‘ nécessité’ ». Pour elles, c’est une nécessité vitale de venir. Des habitués des marchés hebdomadaires vont même jusqu’à affirmer que rien ne les arrêterait de venir sauf un important empêchement ou une maladie grave. Cette nécessité ressentie très profondément est de deux natures : un besoin vital, primaire : se nourrir, se vêtir… et un besoin social : se retrouver. Nous verrons plus loin combien cette nécessité s’inscrit au plus profond des individus qui voient se reformuler leur identité dans ces manifestations. Leurs habitudes sont quelque peu perturbées en été avec l’arrivée des occasionnels et des touristes. Dans ce cas, soit ils viennent très tôt pour éviter la cohue, soit ils s’abstiennent de venir toutes les semaines durant cette période, ce qui est mal vécu car ils se sentent dépossédés du lieu.

Les habitués se rendent sur les marchés hebdomadaires pour leur approvisionnement personnel, essentiellement en produits alimentaires (fruits, légumes, fromages, charcuterie) mais aussi en vêtements ou en ‘«’ ‘ bricoles’ ». La venue sur le marché est également, pour les personnes les plus éloignées des villes, une occasion pour faire d’autres achats (dans les supermarchés ou dans les boutiques alentours), faire des démarches administratives, aller chez le médecin, voir un parent malade, à l’hôpital… Sur la fête annuelle, l’achat n’est pas déterminant pour expliquer la venue des habitués. Pour certains, l’achat se portera plus facilement sur le produit ‘«’ ‘ fêté’ » qu’ils achèteront en grosse quantité auprès de leur producteur habituel. Ainsi, à Billom, les connaisseurs vont acheter un kilo d’ail plutôt qu’une tresse comme le font les touristes. D’autres, au contraire, achèteront plus volontiers un produit qu’ils ont moins l’occasion de se procurer le reste de l’année. Les étaux des artisans ou des brocanteurs attireront leur attention. Ils ne sont pas obligés de venir sur la fête pour acheter le produit puisqu’ils ont ‘«’ ‘ leur’ » adresse pour le trouver tout au long de l’année ; un petit commerce ou un producteur de leur connaissance. Sur les fêtes, la raison la plus souvent évoquée pour expliquer la venue est simplement le ‘«’ ‘ but d’une promenade’ » en famille ou entre amis.

Une raison commune aux marchés hebdomadaires, fêtes populaires et foires professionnelles expliquant la venue des habitués est ‘«’ ‘ se retrouver’ ». C’est d’ailleurs la première motivation, avec le but de promenade, qui justifie la venue sur la fête et la foire. ‘«’ ‘ C’est le seul lieu où on peut se retrouver’ » nous informent de la même manière des habitués du marché de Louhans et des habitués de la fête du charolais à Saulieu. Ainsi, nous apprend-on que, toute la semaine, voire l’année, ils se croisent, se saluent brièvement… mais que c’est le seul moment où ils peuvent vraiment se rencontrer, prendre le temps de discuter, s’offrir un verre… Les personnes se rendent plutôt seules ou en couple sur les marchés hebdomadaires alors que les fêtes sont l’occasion de se promener en famille, avec les enfants – souvent adultes – ou le conjoint en congé. Le plaisir des rencontres est réel. Le ton enjoué, chaleureux ou bruyant des échanges est porté par l’ambiance, gaie et animée. Pour ceux qui n’effectuent aucun achat sur la fête ou le marché, le seul intérêt de venir est de retrouver des amis, ‘«’ ‘ des copains de chasse, de pêche »’…, voire de rompre avec la monotonie du quotidien ou, tout simplement de ‘«’ ‘ s’occuper’ » (en particulier pour les plus âgés).

La promenade peut acquérir une fonction d’initiation. On y amène de jeunes enfants ou des étrangers à qui l’on explique le produit, la région, la foire, ce qu’il faut voir, où il faut aller, comment c’était avant, etc. L’habitué, qui a appris à connaître le produit et le lieu, transmet à son tour ses savoirs et ses savoir-faire. Cette transmission se fait généralement auprès de ses relations proches : un jeune parent ou un ami. Les animaux, en particulier, fascinent les enfants à qui l’on montre volontiers les vaches, les poules, les lapins… C’est ainsi l’occasion de donner quelques rudiments comme ‘«’ ‘ c’est la vache qui fait le lait’ » ou ‘«’ ‘ c’est comme le poulet que tu as mangé dimanche’ ». La transmission aux adultes est un moyen de présenter les spécialités locales : ‘«’ ‘ il voulait goûter et ramener une pogne’ », nous dit cette femme accompagnée d’un ami de passage chez elle. C’est aussi un moyen de présenter le groupe auquel on appartient. ‘«’ ‘ C’est quand même typique, il fallait qu’ils voient ça ’» nous fait-on remarquer de la même façon à Sarlat et à Saulieu en soulignant l’importance et la fierté que les interlocuteurs portent à ‘«’ ‘ leur’ » marché ou à ‘«’ ‘ leur »’ fête.