Malgré la diversité des individus composant cette catégorie, ceux-ci sont proches, par l’interprétation qu’ils font de leurs pratiques, de la place marchande. En effet, tous n’expriment que des notions de plaisir. Ils sont venus par choix – et non par nécessité – pour en retirer du plaisir. Tout, ici, contribue à les satisfaire. A commencer par la promenade que l’on n’effectue que s’il fait beau. ‘«’ ‘ On est venu pour profiter du soleil’ ». Tous les sens sont en éveil : ‘«’ ‘ on est venu voir’ » (certains parlent même d’un ‘«’ ‘ plaisir des yeux’ »), ‘«’ ‘ on est venu déguster »’, ‘«’ ‘ manger de la bonne viande’ ». Le toucher et l’ouïe ne sont pas en reste, mais ils ne sont pas clairement évoqués. De plus, on ressent une certaine liberté : ‘«’ ‘ on se balade’ », ‘«’ ‘ on fait un tour’ », ‘«’ ‘ on regarde’ » ; aucune contrainte ne pèse. Si on veut acheter, on achète, on suit ses envies, il n’y a aucune obligation. On flâne. On profite de l’ambiance détendue de la fête, des vacances, du soleil…
Exprimées de différentes manières, les raisons de la venue des ‘«’ ‘ occasionnels’ » ont une dimension ludique qui ne laisse place qu’au plaisir que l’on peut prendre. C’est pourquoi nous les appelons ‘«’ ‘ hédonistes’ ». Ce terme n’est pas à prendre dans sa stricte acception philosophique qui fait de la recherche du plaisir et de l’évitement de la souffrance la base de sa doctrine. Il est utilisé pour décrire l’attitude particulière dans laquelle se trouvent ces ‘«’ ‘ occasionnels’ ». En effet, leurs comportements les portent à valoriser les actions ou les émotions agréables. Celles-ci passent par une exacerbation des sens qui se trouvent contentés et par des sentiments heureux partagés et retrouvés. Pour R. Amirou, ces notions appartiennent à l’essence même du temps non contraint et du temps de vacances 190 . Il reprend l’idée de J. Dumazedier qui ‘«’ ‘ estime que le loisir, et par extension le tourisme, doit avoir un caractère libératoire, désintéressé, hédonistique et personnel et doit viser le développement personnel de l’individu, conçu comme une fin en soi’ » 191 .
Leur rapport au produit évoque encore cette idée de plaisir. Les occasionnels connaissent le produit, ils savent où le trouver et comment le préparer mais cette connaissance n’est pas d’ordre technique, elle est d’ordre sensuel : on aime ce produit, il est bon… On évoque son goût, sa couleur, ses parfums… On ne le produit pas, on le savoure. Pour y venir occasionnellement, ils connaissent assez bien la manifestation. Les ‘«’ ‘ enfants du pays’ » y venaient quand il étaient plus jeunes (pour les manifestations les plus anciennes). Dans tous les cas, on peut remarquer que ces personnes ont une connaissance – plus ou moins fine – du produit. Certains même sont issus d’une famille qui élevait, produisait ou fabriquait le produit. Ils en connaissent les caractéristiques ; ils savent le cuisiner et connaissent ‘«’ ‘ les bons coins où l’acheter ’» : ‘«’ ‘ l’année d’avant on avait acheté à untel, c’était fabuleux, on va y retourner ’». Ou alors : « chez untel, ils font les meilleures pognes » nous confie ce couple qui va acheter ses pognes non sur la fête mais dans le magasin de la personne citée.
Pour eux, la venue sur le marché est peu conditionnée par une ‘«’ ‘ nécessité’ ». Ils viennent par choix, parce qu’il fait beau, par exemple. Parce qu’ils sont en congés ou en vacances, ils n’ont pas le sentiment d’une contrainte mais au contraire celui d’une liberté. Ils prennent leur temps pour se promener, déguster, passer un moment agréable avec leur entourage.
Pour certains ‘«’ ‘ occasionnels’ », ce plaisir, ressenti par tout le corps, se mêle, pour certains, à un rapport affectif au lieu. Au sein de cette catégorie, nous trouvons en effet deux types de personnes qui entretiennent un rapport particulier à la commune ou au département et que nous distinguons des occasionnels qui résident à l’année sur place. Ceux-là ont un rapport quotidien à ce lieu tandis que les autres ont un rapport distancé. Résidents secondaires et « originaires expatriés » développent un attachement au lieu qui n’est pas de l’ordre de la contrainte mais qui, au contraire, inscrit dans un espace de liberté et de rupture avec le quotidien.
Tout d’abord, nous distinguons ceux qui sont liés au lieu par l’acquisition d’une maison qui sert de résidence secondaire ou qui est envisagée pour une installation après la retraite. Il s’agit d’individus étrangers (Suisses, Hollandais, Anglais) ou de citadins qui ont choisi une région ou une habitation pour répondre à leurs aspirations de tranquillité, de ‘«’ ‘ grand air »,’ pour assouvir leur passion du jardinage… Généralement leur choix se justifie par un ‘«’ ‘ coup de cœur »’ pour le lieu qu’ils estiment susceptible de convenir à leurs attentes. Ils n’ont pas d’attaches affectives sur le site, mais développent un sentiment pour ce lieu. Parfois ils rejoignent des connaissances qui se sont installées avant eux comme c’est le cas des Suisses en Bresse Bourguignonne ou des Hollandais en Ardèche ou en Dordogne. Ces installations massives qui permettent de restaurer des bâtisses anciennes et de faire travailler les artisans locaux ne sont pas toujours perçues d’un bon œil, surtout lorsqu’elles développent une activité touristique comme des chambres ou des tables d’hôtes. A Saint-Aubin, les membres du Comité des fêtes feront remarquer que de nombreux bâtiments de fermes sont rachetés par des citadins (les terrains agricoles seront achetés séparément par des exploitations qui s’agrandissent). Leurs propriétaires, peu intégrés, ne participent pas aux préparatifs de la fête et s’intègrent peu à la vie locale. Leur intégration semble toujours problématique, comme le souligne J-.D. Urbain qui observe qu’une trop forte implication de leur part peu perturber la vie locale. Selon lui, l’explication essentielle de la ‘«’ ‘ bi-sédentarité’ » ne peut être satisfaisante si l’on s’en tient au seul ‘«’ ‘ retour aux racines’ ». Elle se comprendrait plutôt par l’extériorité sociale dans laquelle se trouve momentanément l’individu. Celui-ci est inclus et non intégré. ‘«’ ‘ Ici, l’on vit avec, mais pas ensemble’. 192 » Le résident secondaire est dans un ‘«’ ‘ entre-deux social »’ où il se mêle à la vie de l’indigène tout en n’y participant pas. Développant cette idée, J.-D. Urbain explique que le résident secondaire ne chercherait pas à s’intégrer puisqu’au contraire il exploiterait sa situation d’‘»’ ‘ irresponsabilité civile.’ » 193 A L’inverse, il observera, sur son terrain bourguignon, que ceux qui s’impliquent dans la vie locale sont dans une quête de centralité, de gravité et de reconnaissance sociales ou en quête de pouvoir local. Néanmoins, la foire ou le marché est un excellent moyen pour les personnes isolées de s’intégrer et de s’imprégner de l’âme du pays. Progressivement, ils apprennent à découvrir la région et ses produits en participant parfois à des visites guidées. Les ‘«’ ‘ enfants du pays’ », à la différence de ceux installés dans la région, entretiennent un lien nostalgique au lieu. Contrairement aux résidents secondaires, ils connaissent le produit dont ils se souviennent de la consommation qui a façonné leurs préférences gustatives. Ils connaissent aussi son élaboration, certains étant issus du milieu agricole. Leur rapport à la région et à la manifestation (si celle ci est ancienne) est interprété d’après leurs souvenirs d’enfance.
R. Amirou, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, 1995, p.37.
J. Dumazedier :Vers une société de loisir, Paris, Seuil, 1962.
J.D. Urbain, op.cit., 2002, p.517.
Ibid., p.516.