5.3. Fêtes, foires et marchés, représentants d’une culture : entre réalité présente et imaginaire du passé

D’après l’enregistrement des pratiques et des discours des passants, on pourrait être en droit de se demander de quoi il retourne, si l’on ne connaissait ces manifestations. En effet, alors que la raison d’être de celles-ci est d’abord l’échange marchand, ceux que l’on pourrait appeler ‘«’ ‘ clients’ » évoquent essentiellement une ambiance, un plaisir… L’objectif de la promenade ou de la rencontre sociale ne nous a pas semblé satisfaisant pour expliquer la raison de la venue sur la fête, la foire ou le marché. Une promenade distractive peut se faire dans divers endroits et les lieux de sociabilité sont aujourd’hui plus nombreux et plus seulement dévolus aux seules places marchandes.

Interroger les discours permet de mieux comprendre le sens des pratiques en saisissant la façon dont les personnes se représentent les fêtes, les foires et les marchés en milieu rural. On constate ainsi que chacune des trois catégories de passants définies plus haut a sa propre perception des places marchandes selon sa place dans la construction d’un imaginaire élaboré autour de la mémoire du lieu. Chaque groupe évoque un lien étroit au lieu, au passé et à une mémoire collective semblant définir une communauté rurale. Celle-ci n’est pas décrite de manière univoque par les trois groupes ce qui tend à prouver qu’elle n’a pas d’existence réelle et concrète et qu’elle résulte d’une construction. En combinant les mêmes éléments ‘«’ ‘ temps’ », ‘«’ ‘ lieu’ », ‘«’ ‘ mémoire collective’ », chacun donne sa propre interprétation des manifestations et de la vie locale à laquelle il se réfère.

Les fêtes, les foires et les marchés sont perçus comme représentants une communauté rurale. Celle-ci n’a d’existence que de manière virtuelle puisqu’elle est recomposée, imaginée et idéalisée. Dans tous les cas il s’agit d’une vision déformée, tronquée. Avec l’exemple de la mémoire individuelle, nous savons que nous avons tendance à conserver les meilleurs souvenirs et à embellir la réalité passée. Lors d’une recomposition collective, on peut enregistrer que les éléments les plus valorisants ou ceux qui font sens sont soulignés de manière parfois exagérée, alors que d’autres sont occultés ou minimisés.

Les retraités agricoles ont, du marché ou de la foire, l’image qu’ils leur rappellent. A travers les manifestations présentes, ils voient celles de leur passé ainsi que leur propre vie d’agriculteurs. Les plus jeunes, issus du milieu rural, ont une vision nostalgique, idéalisée de ces places marchandes et du monde agricole. Pour les personnes extérieures à ce milieu et à la région il s’agit également d’une vision idéalisée, édénique. Pourtant elle n’est pas liée à des souvenirs d’enfance mais à l’image générale que l’on se fait de la communauté agricole – non localisée – et de la région.

Ce mode de perception fonctionne par inclusion/exclusion de ce qui doit relever ou non d’un passé, du lieu, de la société locale, ce qui contribue à faire émerger de l’identité. La notion d’appartenance est ainsi récurrente : on se dit gardien d’une identité, on affirme son identité ou on la désigne de l’extérieur. En effet, les individus ‘«’ ‘ de l’intérieur’ » ne sont pas les seuls habilités à définir une identité puisque les touristes élaborent leurs propres critères pour affirmer ce qui, d’après eux, relève de l’identité des autres. La notion d’authenticité paraît comme opératoire pour représenter une identité. Ainsi, à Louhans, avons-nous entendu une femme s’exclamer ‘«’ ‘ ça c’est des vrais »,’ en désignant un couple de retraités qui vendaient de la volaille.