5.3.1. Un lieu de mémoire

Au cours des marchés hebdomadaires et des concours agricoles, on enregistre la présence d’individus qui n’ont rien à proposer et qui ne viennent pas pour acheter mais dont les pratiques et les discours traduisent un lien étroit, presque intime avec le produit présenté et avec la manifestation elle-même.

5.3.1.1. Des lieux qui rappellent un passé vécu

Plus que de simples lieux de promenade, de sortie, de rencontres ou de rendez-vous, la venue sur le marché ou la foire revêt un sens particulier pour les retraités agricoles. En effet, ce n’est pas la manifestation telle qu’elle est qu’ils perçoivent, mais ce qu’elle évoque de leur passé. Sur les marchés de Louhans, de Saint-Christophe-en-Brionnais et sur les concours de Saulieu et des Quatre Glorieuses, nous avons enregistré divers témoignages individuels qui sont apparus comme relevant de la définition d’une mémoire collective et d’une appartenance identitaire. A la question ‘«’ ‘ Pourquoi êtes-vous venus ?’ », beaucoup répondent comme ce bressan : ‘«’ ‘ Parce qu’on est toujours venu ! ».’ Comme nous l’avons vu plus haut, tous évoquent l’époque où ils amenaient des bêtes, qu’ils disent avoir conservées, ‘«’ ‘ pour s’occuper »’. De même, les anecdotes qui ne tarissent plus, semblent être inscrites dans l’histoire collective plus que dans l’histoire individuelle, dans la mesure où toutes paraissent identiques d’un individu à un autre. Ainsi, on évoque les déconvenues avec quelque bête récalcitrante ou facétieuse. On se rappelle que les foires et les marchés étaient de grands moments de retrouvailles parfois bien arrosés et qu’untel, ivre, s’était endormi dans la paille avec sa vache, ou que tel autre a été ramené par son cheval qui connaissait bien le chemin. A partir d’un questionnement sur les pratiques contemporaines qu’ils ont sur les places marchandes, ils en viennent systématiquement à évoquer celles qu’ils exécutaient autrefois. Ils présentent aussi leur activité passée et le mode de vie qu’ils avaient. ‘«’ ‘ On n’avait jamais de temps pour nous. Y a qu’ici qu’on pouvait se voir, discuter et rigoler’ », nous fait-on observer à Saulieu pour souligner qu’en plus d’être important dans leur vie économique, le concours l’était aussi dans leur vie sociale. De même, tous relèvent que la manifestation s’est profondément transformée : elle s’est déplacée, elle s’est agrandie ou elle s’est modernisée. A Louhans, par exemple, les volailles qui occupaient la rue principale, ont été envoyées aux abords de la ville, dans les années 30, à la demande du club automobile qui souhaitait une meilleure circulation dans le centre, les lundis. Mais aussitôt enlevées, elles ont été remplacées par des produits manufacturés. Le centre est toujours occupé et les volailles sont sur une place, à proximité. De même à Saulieu, la construction de la halle apporta un déplacement du lieu du concours et sa modernisation. A travers le constat de la transformation de la foire ou du marché, c’est aussi celle de leur mode de vie, de ce qui constituait leur identité qui est soulignée. Aussi, nous pouvons dire que le marché ou la foire fait sens pour cette population, il construit un langage commun sur le lieu et il évoque une mémoire collective.