5.3.1.2. Des lieux pour reconstituer une mémoire collective

Pour qu’il y ait une mémoire collective, il faut partager une même approche d’un événement, avoir un lien étroit entre chaque membre (un même vécu...). Le simple partage d’un même souvenir ne suffit pas.

‘« Il ne suffit pas de reconstituer pièce à pièce l’image d’un événement passé pour obtenir un souvenir. Il faut que cette reconstruction s’opère à partir de données ou de notions communes qui se trouvent dans notre esprit aussi bien que dans ceux des autres parce qu’elles passent sans cesse de ceux-ci à celui-là et réciproquement, ce qui n’est possible que s’ils ont fait partie et continuent à faire partie d’une même société. » 219

Nous ne pouvons dire qu’un événement fait partie d’une mémoire collective qu’à la condition que celui-ci concerne l’ensemble du groupe, qu’il le touche de la même façon pour tous et que chacun des membres l’interprète d’après les mêmes repères, les mêmes cadres sociaux de référence. Il n’est pas nécessaire que les individus appartenant au même groupe (exemple : groupes religieux) se rencontrent physiquement pour posséder des valeurs et un langage communs et appréhender des faits de la même façon. La mémoire collective ne peut être étudiée et comprise que d’après une multitude de mémoires individuelles qui la portent en eux. Cependant, c’est cette mémoire collective qui est détentrice des normes et des représentations de l’ensemble. Chaque individu appartient à des groupes différents : famille, travail, groupe d’amis... La mémoire collective apparaîtra alors comme le regroupement à partir d’un intérêt général. Néanmoins, nous ne croyons pas, comme M.Halbawchs, que la mémoire collective transcende les individus, les précède... En effet, ce sont surtout les individus qui la construisent et la font vivre, en faisant appel à elle.

Les foires et les marchés deviennent dans ces conditions des lieux de mémoire dans la mesure où ils sont susceptibles de mobiliser une mémoire collective. Ces lieux conservent des référents collectifs agissant en tant que cadre social, considéré d’après M.Halbawchs, comme étant la façon propre d’exprimer et d’envisager des réalités présentes. Pour qu’une mémoire puisse continuer d’exister et être à nouveau convoquée, elle a besoin de cadres fixes et stables. ‘«’ ‘ L’espace est une réalité qui dure : nos impressions se chassent l’une l’autre, rien ne demeure dans notre esprit, et l’on ne comprendrait pas que nous puissions ressaisir le passé s’il ne se conservait pas en effet dans le milieu matériel qui nous entoure. »’ 220 L’espace est un cadre relativement permanent et immuable. Il conserve suffisamment de stabilité pour y réunir une mémoire collective, d’après des repères qu’elle reconnaît et qu’elle intègre sans difficulté. L’inchangé de l’espace permet à la mémoire collective de s’y fondre naturellement et de garder elle-même une part de permanence et son ‘«’ ‘ identité’ ». Pour qu’une mémoire collective puisse se construire sur un lieu, il faut que celui-ci fasse sens, qu’il soit élaboré comme significatif de cette mémoire. Il doit pouvoir réunir en lui chacun des membres qui retrouvent alors cette mémoire collective.

Ces lieux qui font sens sont ici constitués en lieux de mémoire. Selon P.Nora, ce terme peut désigner une quantité de choses très diversifiées comme les contes, la généalogie, le musée, la tradition. ‘«’ ‘ La question est de savoir si le fait de les constituer en ’ ‘«’ ‘ lieu de mémoire » permettait de faire dire à ces topoi autre chose qu’ils n’auraient pu exprimer sans cette opération » ’ 221 , se demande P. Nora. L’objet considéré n’est plus vu en lui-même et pour lui-même, mais parce qu’il est révélateur de quelque chose (une mémoire). Il devient moyen et non but.

Notes
219.

M. Halbwachs : La mémoire collective, 1997, p.63.

220.

Ibid., p.209.

221.

P. Nora : Les lieux de mémoire, III, Les Frances 1, 1984, p.15.