5.3.1.4. Affirmer son appartenance au groupe

‘«’ ‘ buttes-témoins’ ‘«’ ‘ buttes-témoins’

D’après nos observations, les foires et marchés évoquent à une catégorie de personnes leur activité passée. Il ne s’agit pas d’une mémoire individuelle mais d’une mémoire collective dans la mesure où c’est toute une communauté qui la partage (en la rappelant par des souvenirs, des anecdotes) et qu’elle désigne (des paysans, des éleveurs ‘«’ ‘ bressans’ » ou des éleveurs de charolais).

Ce n’est pas seulement une activité agricole passée qui est rappelée à travers la description des foires et des marchés d’autrefois, c’est aussi et surtout une identité collective. Le recours à la mémoire collective permet ainsi de reformuler son appartenance à un groupe. En même temps qu’on enseigne ou qu’on exécute des gestes, on inclut un individu au groupe, le partage de pratiques communes pouvant servir de marque de reconnaissance. Cette transmission passe par ce que D. Chevallier et I. Chiva désignent comme relevant d’un apprentissage de savoir informel 225 , c’est-à-dire qu’il n’est pas enseigné au sein d’une institution, mais qu’il provient d’activités intégrées dans la vie courante. Acquis par observation et imitation, il n’est pas que reproduction à l’identique. G. Delbos et P. Jorion, observant la transmission des savoir-faire des paludiers au sein de la famille, montrent que le savoir ‘«’ ‘ se réinvente sans doute à chaque génération’ » 226 , en particulier par son adaptation et son expérimentation par chacun. B. Bril remarque par ailleurs qu’il existe une volonté de reconnaissance de la part des apprentis dont on suppose qu’ils s’appliquent à répondre aux attentes des maîtres. On enregistre ici le souhait d’être intégré à un groupe par son identification. Cette notion d’appartenance contenue dans le processus de transmission informelle se comprend parce que ‘«’ ‘ la transmission ne se limite pas à un ensemble de connaissances efficaces comme les procédures strictement nécessaires à l’exécution d’une tâche donnée. (…) L’apprentissage transmet tout ensemble savoirs efficaces, sens et identité. »’ 227 En effet par l’apprentissage de techniques se transmettent aussi des systèmes de valeurs, codes sociaux, modes de représentations propres au groupe. Ainsi, aller sur le marché, prendre un verre avec un ami, c’est aussi marquer son appartenance à une communauté. A Louhans, un groupe de retraités nous a clairement affirmé venir ‘«’ ‘ parce qu’on est bressans ».’

Les retraités agricoles ont un lien étroit, presque charnel au produit et à la manifestation. Ces derniers constituent ou représentent leur identité même (leur appartenance au lieu, à un métier, à des caractéristiques locales). Se rendre sur la foire ou le marché marque un sentiment d’appartenance à un groupe. Celui-ci est emblématisé par l’activité commune à ses membres pour qui elle représente reconnaissance et fierté.

Notes
225.

D. Chevallier, I. Chiva : « L’introuvable objet de la transmission » in D. Chevallier (dir), Savoir faire et pouvoir transmettre, 1996, p.3.

226.

G.Delbos, P. Jorion : La transmission des savoirs, 1990, p.127.

227.

Ibid., p.5.