5.3.3.2. Des manifestations ‘«’ ‘ rares’ », productrices d’imaginaires

Beaucoup de touristes sont surpris de trouver des lieux de rassemblement de bestiaux dont ils soulignent la rareté. Certains étrangers (Suisses notamment) précisent que les manifestations de bêtes vives sont interdites, chez eux, pour des raisons sanitaires. On remarque que les foires et les marchés d’animaux vivants sont susceptibles de rappeler les marchés d’antan. La présence d’animaux paraît conforme aux images que l’on se fait des marchés du passé. De telles manifestations sont ainsi facilement désignées comme étant ‘«’ ‘ traditionnelles’ ». Quelques fêtes récentes de produits alimentaires passent pour traditionnelles pour les touristes car l’ambiance rejoint l’idée qu’ils se font des fêtes d’autrefois. Des animations folkloriques (danses en costume, intronisations) semblent apporter des éléments de tradition, du moins semblent-ils participer à la reconstitution des foires et marchés tels qu’on imagine qu’ils étaient. Alors qu’avant ces manifestations avaient un but fonctionnel, les animations développent leur aspect ludique.

Nous avons expliqué comment, pour les retraités agricoles, le marché ou la foire fonctionnait comme un lieu de mémoire qui leur permettait de retrouver des gestes, des savoirs et savoir-faire qui composaient leur culture, leur ‘«’ ‘ identité’ » en même temps qu’ils en soulignaient la désagrégation. Les touristes eux-mêmes viennent retrouver cette mémoire. Il ne s’agit pas, dans ce cas, de recomposer une mémoire vécue, mais de rencontrer un passé imaginé. Celui-ci est saisi à travers un croisement entre les idées de ‘«’ ‘ tradition’ », de ‘«’ ‘ passé’ » et de ‘«’ ‘ naturel’ ». Les fêtes, les foires et les marchés sont interprétés dans un rapport supposé ou réel, à un temps, à un lieu et à une identité transposée, emblématisée par un produit. Si un produit est l’emblème d’une communauté, d’une identité, les fêtes, les foires et les marchés lui donnent vie, la mettent en scène et la rendent ‘«’ ‘ saisissables’ ». Cette identité est définie par les touristes comme représentant l’ensemble de la population locale. Néanmoins, ce qu’ils décrivent se rapporte essentiellement aux populations agricoles. En effet, les touristes de passage et les urbains en général, c’est-à-dire aussi bien les résidents secondaires que les ‘«’ ‘ enfants du pays’ » exploitent un imaginaire du rural ou plutôt, de la campagne. Cette idée n’est néanmoins pas clairement exposée. Quand nous leur demandons ce qu’ils pensent de ces manifestations, ils évoquent surtout la qualité des produits – garantis par des savoir-faire artisanaux – et une convivialité extra-ordinaire.

En imaginant assister aux marchés de jadis, les individus ont l’impression de plonger dans les sociétés rurales du passé. Pourtant, ce n’est pas tant un voyage dans le temps qu’ils expriment qu’un déplacement dans un groupe de valeurs. En effet, ce qu’ils décrivent le plus souvent, c’est la rencontre avec une culture locale et avec un groupe social étrangers aux leurs. Ainsi, ils viennent découvrir une particularité : un produit de terroir, une vie locale, mais ils découvrent aussi un milieu rural. Cette deuxième idée se saisit lorsque les individus justifient l’achat d’un produit, définissent l’ambiance particulièrement ‘«’ ‘ conviviale et festive »’, ou interprètent des éléments ‘«’ ‘ physiques’ » comme la présence d’animaux vivants, de producteurs, de démonstrations de savoir-faire ou de reconstitutions folkloriques. C’est parce que les fêtes, les foires et les marchés mettent largement en scène les notions ‘«’ ‘ d’artisanal »,’ ‘«’ ‘ d’agricole’ » et de ‘«’ ‘ régional’ » ou de ‘«’ ‘ local’ » qu’ils passent pour être « traditionnels ». Cela est d’autant mieux appréhendé qu’ils sont des ‘«’ ‘ mondes à part’ ». Ils effectuent une rupture avec l’espace et avec le temps quotidiens. Ils rompent avec le temps ordinaire, pour rappeler un temps cyclique, saisonnier. La fréquence répétitive n’est pas perçue comme contraignante car les places marchandes conservent et évoquent des éléments exceptionnels. De plus, ils s’inscrivent dans le temps libéré de toute contrainte, laissant la porte ouverte aux nouvelles découvertes, et rappelant peut-être un temps traditionnel.