5.4.2.2. Un imaginaire idéalisé du monde agricole

Sur les fêtes, les foires et les marchés, associés au monde agricole, nous avons enregistré un processus d’élaboration de ces images qui repose sur des fantasmes d’un monde perdu. Pour les uns, ce monde est un passé vécu que l’on voit disparaître. Il est reconnu que la vie n’était pas toujours facile (le travail était rude et dès le plus jeune âge il fallait participer aux tâches de la maison) et que certains progrès sont appréciables (notamment en matière de protection sociale et d’indemnités agricoles). Pourtant, une certaine nostalgie est exprimée en évoquant un temps idéalisé où aurait existé un lien organique avec les choses et les êtres. La vie des plus jeunes est critiquée, ceux qui se trouvent dans les villes mais aussi les exploitants agricoles. A ces derniers, il leur est reproché de recourir à des méthodes douteuses qui ne s’inscrivent plus dans une recherche de qualité, à force de vouloir tendre vers le productivisme, voire même de ne plus savoir regarder la nature. Les ‘«’ ‘ anciens’ » ne se retrouvent plus vraiment dans les techniques utilisées aujourd’hui par des agriculteurs qui ont rompu la chaîne de la transmission orale intergénérationnelle pour recevoir une éducation dans des écoles professionnelles. Cette amertume qui fait dire à certains que ‘«’ ‘ tout fout l’camp’ » ou ‘«’ ‘ on est dépassé’ » se retrouve dans leur perception des aliments produits aujourd’hui. D’après eux ‘«’ ‘ Maintenant, ça n’a plus de goût »’. ‘«’ ‘ Avant, les bêtes mangeaient ce qu’elles trouvaient dans les champs (…). Les fleurs ça donnait un bon goût au lait’ ». La viande aussi semble avoir été meilleure avant. Les évolutions techniques sont mises en parallèle avec celles de la société qui a laissé place à un individualisme grandissant. Par une comparaison entre modes de produire et modes de consommer, hier et aujourd’hui, c’est une comparaison entre deux sociétés qui est décrite. D’une part, une société moderne qui confectionne des produits industriels est critiquée, de l’autre, une société passée qui délivre des produits sains est valorisée. En désignant les produits issus d’une société agricole passée comme étant meilleurs, est aussi désignée une société ‘«’ ‘ meilleure’ » : ‘«’ ‘ avant, on mangeait bien, on vivait bien.’ » Est souvent évoquée une solidarité qui existait entre chacun, les veillées…

Mais c’est peut-être oublier les jalousies, les petites vengeances ou méchancetés que l’on faisait subir à celui que l’on trouvait différent : trop fainéant ou au contraire trop ambitieux. De même c’est oublier les formes de solidarité modernes socialement mises en place : institutions sociales, organismes caritatifs… Ce que les plus jeunes perçoivent des fêtes, des foires et des marchés, c’est également un certain lien communautaire qui s’est inscrit dans leurs souvenirs d’enfant ou qu’ils ont reconstitué d’après ce qu’on leur en a dit. Une opposition entre le type communautaire d’avant et le type sociétal d’aujourd’hui a souvent été enregistrée. Une solidarité organique est valorisée par rapport à une solidarité mécanique, telle que les a définies E. Durkheim, car on la trouve plus ‘«’ ‘ naturelle’ », plus sincère et marquée par des relations affectives. Pourtant, elle avait un caractère obligatoire qui dépendait de son appartenance à une famille et à un sol. Aujourd’hui ces liens existent toujours mais ils sont plus libres et sont moins visibles car plus diversifiés : associations sportives, groupes d’amis… Qui dit modernité, non-lieux, ne signifie pas forcément l’effacement total des relations humaines. Une grande surface où nous avons eu l’occasion de travailler durant un été, possédait ainsi un comité d’entreprise qui proposait des voyages de groupe, des méchouis... Les échanges sociaux sont toujours présents mais ils prennent une autre forme. Il existe pourtant l’idée que cet état communautaire était plus adapté aux individus, ce qui traduit par là une certaine insatisfaction.

En fait, les touristes constituent et revendiquent l’image d’une société qui n’a jamais été et à qui ils attribuent des notions de bien vivre. De manière générale, c’est l’ambiance des fêtes, des foires et des marchés que l’on apprécie, et celle-ci ne semble être possible que dans un monde à part, inscrit dans le passé. Pourtant, des événements renouant avec un esprit festif communautaire se sont fait jour par la création de festivals (théâtre de rue, fête de la musique, gay pride…). Mais contrairement à ces expressions contemporaines qui peuvent être renouvelées partout (la fête de la musique comme la gay pride ont aujourd’hui une dimension européenne – voire mondiale ?), les fêtes, les foires et les marchés – en particulier les S.R.G. – sont inscrits dans un lieu spécifique.