6.1. Des lieux d’interprétation de connaissances

6.1.1. D’une transmission à une médiation

Dire que fêtes, foires et marchés sont des lieux d’apprentissage et d’information n’a rien de nouveau, puisque nous avons vu qu’ils l’ont toujours été. Les foires, par des expositions ou des démonstrations, ont toujours été considérées comme apportant de nouvelles connaissances techniques, de nouveaux matériaux ou outils, même si aujourd’hui elles sont quelque peu relayées par les médias. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les foires et les marchés ont fonctionné comme des lieux de transmission entre deux générations. ‘«’ ‘ Ce type de rassemblement est aussi un lieu d’apprentissage des valeurs, celle de l’argent et de la parole donnée en premier lieu ; c’est pourquoi on y conduit les jeunes. »’ 260 Ces mêmes enfants voués à suivre les traces de leurs parents y observent déjà les savoirs, savoir-faire et savoir-être inhérents à leur profession et à leur sexe. ‘«’ ‘ Les enfants y font l’apprentissage de la division et la hiérarchie des espaces basées sur la division des tâches et la hiérarchie des responsabilités dans la famille et dans l’exploitation. »’ 261 On l’a dit, les foires et les marchés jouaient un rôle essentiel dans la circulation des informations locales, régionales voire nationales aux populations locales. Plus encore, elles étaient des lieux d’apprentissage social pour les enfants qui découvraient les gestes qu’ils devraient répéter à leur tour, une fois adultes.

Ces rôles sont très importants pour la cohésion et l’organisation sociale. On peut remarquer que leur diffusion est plus ou moins grande selon qu’il s’agit d’un marché ou d’une foire. En effet, comme nous l’avons déjà vu, le marché, à vocation d’approvisionnement au quotidien, n’a qu’une influence très locale, alors que les foires, plus rares et considérées comme un ‘«’ ‘ événement’ », comme une fête, jouent un rôle régional.

Ce qui est nouveau, aujourd’hui, c’est le contenu de l’information et l’objectif ou l’enjeu que la transmission remplit. Les foires et marchés conservent une partie de cette fonction de circulation des informations. Les tracts sont distribués en nombre et les élus locaux ne manquent pas de se rendre sur ces places marchandes pour aller au devant de leurs prochains électeurs. Une notion d’apprentissage est conservée lorsqu’on dit amener les enfants pour leur montrer les animaux, à quoi ressemble une vache, un mouton… ou lorsque la foire et le marché servent d’outil pédagogique. A Louhans, par exemple, le marché fait partie du programme de la classe de patrimoine organisée par l’écomusée de la Bresse bourguignonne, ce qui donne lieu à la production d’un article qui paraît dans le journal créé par le groupe à l’imprimerie-musée. Une classe maternelle de Chalon-sur-Saône l’avait également choisi pour aborder le thème de la nature tout au long de l’année scolaire.

Néanmoins, on observe que l’information, l’apprentissage du local s’adressent à un public extérieur à la culture. Le local sort du local. Au cours de ce développement, nous avons évoqué à plusieurs reprises la notion de transmission pour décrire la raison de la venue des individus et le lien qu’ils entretiennent au lieu et au produit. Nous avons aussi montré qu’ils existait une transmission d’informations entre producteurs et consommateurs. La démonstration de savoirs et savoir-faire n’a plus pour objectif leur reproduction mais simplement leur découverte et leur compréhension. Le sens de la transmission se trouve par là même transformé. D’une part, il s’agit d’éduquer en enseignant et en expliquant des gestes, des valeurs pour que l’individu les incorpore et les reproduise pour être accepté par le milieu – social, professionnel, culturel. D’autre part, il s’agit d’informer par une simple démonstration (orale et visuelle) pour apporter de la connaissance et de la compréhension sans qu’il y ait volonté de transmettre un savoir-faire. Pour les uns, les savoirs ou les savoir-faire sont incorporés. Pour les autres, les savoirs ne sont pas physiquement expérimentés, l’approche est distanciée, médiatisée par des supports et du discours.

Le savoir n’est que partiellement transmis, d’abord parce qu’il n’est pas expérimenté, ensuite, parce qu’il résulte de la production d’un discours qui sélectionne ce qui est à transmettre. Il ne s’agit plus d’une transmission verticale, intergénérationnelle, mais d’une transmission horizontale entre personnes d’une même génération, qui vivent dans des mondes, des cultures différentes. Les foires et marchés permettent d’offrir un point de contact entre deux mondes – le monde urbain et le monde agricole –, de leur donner la possibilité d’échanger sur des produits et sur des modes de vie, comblant les attentes de chacun. Ils favorisent une rencontre espérée entre les deux mondes et les aident à se comprendre l’un l’autre. Les fêtes, les foires et les marchés deviennent en quelque sorte des lieux de médiation culturelle. Cette notion très vaste et assez ambiguë est prise ici dans le sens d’une transmission des outils permettant au public ‘«’ ‘ novice’ » d’acquérir une compréhension du lieu ou des produits.

Notes
260.

J. Maho : « Les aspects non-économiques des foires et marchés », in Etudes Rurales n°78-80, 1980, p.66.

261.

R. Bonnain : « Les fonctions non-économiques des foires et des marchés français », Ethnozootechnie, 1985, p.57.