6.1.2. Transmettre des clefs de compréhension des produits et de l’image de soi

Les processus qui s’élaborent sur les foires et marchés rappellent sur certains points la description que E. Caillet fait de la médiation culturelle dans les musées apparue avec le développement de ceux-ci entre 1988 et 1993. Elle montre comment celle-ci se distingue de l’enseignement. Tout d’abord, elle décline les notions de ludique, de non-contraint, voire de loisir, de non-obligatoire et de non-sanctionné (les connaissances acquises ne sont pas validées) par opposition au modèle scolaire. Ensuite, le médiateur est un ‘«’ ‘ passeur’ » et non un enseignant. E. Caillet illustre la distinction entre les deux par la différence de leur démarche : ‘«’ ‘ Je te fais savoir, dit le médiateur ; je t’apprends, dit l’enseignant’ » 262 . La médiation donne des ‘«’ ‘ méthodes d’accompagnement’ », elle apporte les clefs pour la compréhension du sens et des valeurs de l’objet. La médiation enregistrée au cours des fêtes, des foires et des marchés prend la forme d’une information ou d’une valorisation d’un produit par son producteur, en vue de modifier les comportements et les pratiques des consommateurs. Les fêtes, les foires et les marchés offrent un cadre de connaissance et de reconnaissance des produits par l’initiation des visiteurs-consommateurs. Les producteurs peuvent expliquer l’élaboration de leur produit et les pratiques culinaires. Ils apportent des informations sur les caractéristiques de leur produit et donnent les clefs pour le reconnaître – par rapport à ses marques d’identification –, le choisir, le mettre en valeur… La dégustation de parties de bœuf disparues des habitudes alimentaires peut aider à la relance de leur consommation. D’un côté, les producteurs souhaitent la rencontre directe avec leurs clients pour influer sur leurs pratiques (acheter plus, changer ses habitudes…), en montrant l’originalité et la qualité du produit, en faisant la démonstration de leurs savoirs et savoir-faire. De l’autre côté, les consommateurs souhaitent rencontrer les producteurs pour être mieux informés sur leur alimentation et pour satisfaire la curiosité qu’ils portent aux techniques culinaires locales. Les producteurs y voient un intérêt économique ainsi qu’un moyen de revaloriser leurs méthodes de travail. Les consommateurs quant à eux trouvent une réponse à leurs questions. Elle permet aux uns de se réapproprier la commercialisation, aux autres de se réapproprier la consommation. Néanmoins, les chalands ressentent moins l’impression de recevoir un enseignement, même si celui-ci se limite à un conseil de cuisson, que de se distraire en participant à un événement local. L’aspect ludique prévaut puisqu’il est associé à un moment de détente, de plaisir et qu’il conduit à l’éveil des sens en particulier du goût par les dégustations.

La médiation a permis aux producteurs d’élaborer leur propre discours sur le produit et d’en contrôler l’image et la réception. Le médiateur délivre un savoir qu’il adapte à son public. Comme le précise un producteur d’ail dont nous avons relevé les propos au début de cette partie, le producteur doit avoir une démarche ou une ‘«’ ‘ formation’ » spéciale. Celle-ci est ici comprise comme le devoir qu’il s’est donné de s’intéresser aux connaissances agronomiques, c’est-à-dire au discours scientifique. Le consommateur se fait sa propre perception et il interprète ce qu’il voit ‘(’ ‘«’ ‘ le produit est meilleur sur la foire et le marché’ »). La visite doit s’inscrire dans un temps long puisque les producteurs souhaitent modifier des pratiques de consommation. La médiation est aussi à comprendre à travers la réception, c’est-à-dire en relevant ce que le récepteur retient et l’appréhension qu’il a de la connaissance délivrée. Si la médiation est production de sens, le récepteur n’est pas neutre et interprète le message qu’on lui transmet. ‘«’ ‘ Le réel lui-même est une traduction de faits vécus par les uns en faits interprétés par d’autres, en fonction du champ de compétences de chacun, de son identité professionnelle et personnelle. ’» 263 Elle sera d’autant mieux saisie que le récepteur-visiteur sera en attente. Elle peut néanmoins décevoir si elle ne répond pas aux exigences ou aux présupposés du visiteur. Sur les fêtes, les foires et les marchés, la médiation exercée par les producteurs répond aux attentes du chaland qui, de plus en plus, tient à avoir des informations sur l’élaboration d’un produit et sur les exigences sanitaires. Il ne veut plus être simple consommateur mais consommateur éclairé. Il veut connaître le produit et le milieu dans lequel il a été élaboré, avoir les clefs de compréhension.

Notes
262.

E. Caillet, E.Lehalle : A l’approche du musée, la médiation culturelle, 1995, p.21.

263.

Ibid., p.47.