6.2.1. Solliciter la rencontre

Les deux mondes viennent de nouveau à la rencontre l’un de l’autre. Ils cherchent le contact et la confrontation avec l’autre. L’enjeu économique qui prévaut à l’organisation de ces manifestations se perçoit sous le prétexte d’enjeux symboliques de redéfinition de soi, de son identité et de ses valeurs. Si les fonctions économiques semblent masquées par la démonstration de marques identitaires, celles-ci sont, dans la plupart des cas, des outils au service de la valorisation des produits. L’identité est instrumentalisée pour apporter de la valeur symbolique – et par là même économique. Le discours patrimonial déployé autour du produit tend à lui donner une valeur symbolique à laquelle sont sensibles les acheteurs. En apportant de la valeur aux produits on lui construit une ‘«’ ‘ image de marque’ » qui sera recherchée comme gage de qualité. Les producteurs perçoivent l’intérêt de valoriser leurs productions sous l’angle patrimonial pour augmenter leurs revenus mais aussi pour revaloriser leur image, puisqu’à travers la démonstration de la qualité de leurs produits, c’est leur travail et leur identité qui est revalorisée.

Si monde urbain et monde rural ne sont pas à penser en termes d’opposition, on observe néanmoins un regard particulier porté de l’un sur l’autre. Le monde rural semble généralement porter un regard critique sur le monde urbain qu’il associe directement aux grandes métropoles. Pourtant, les ruraux sont de plus en plus en contact avec le monde urbain où ils travaillent, bien souvent. Ils observent que leur lieu de vie et leurs pratiques sont liés à un contexte rural ‘«’ ‘ on est à la campagne, ici’ ». Le jardinage, les promenades dans la nature… en sont autant de preuves. Pourtant, les jardins de ville ne sont pas rares et les comportements adoptés par ces ruraux ne sont pas trop éloignés de ceux de beaucoup d’urbains. Ce qui est mis en opposition, ce sont deux modèles de vie, caricaturés, l’un stigmatisant une urbanisation à outrance, l’autre idéalisant une ruralité proche de la nature. Monde rural et monde urbain ne sont plus des espaces très distincts et ils se rapprochent par le nouveau mode de relation qu’ils entretiennent au monde agricole. B.Hervieu et J.Viard remarquent qu’aujourd’hui, on assiste à la ‘«’ ‘ publicisation de l’espace des campagnes’. » 266 La campagne est maintenant vécue et pensée comme paysage plutôt que comme lieu de production. Les paysans deviennent ainsi les jardiniers qui entretiennent ce paysage. Les campagnes sont dessaisies de ceux qui la travaillent, pour être ‘«’ ‘ ressaisies par la cité comme espaces d’usages.’ » 267 On s’approprie un paysage, un patrimoine non dans une visée économique, mais pour des pratiques distractives, esthétiques (traverser de beaux paysages…). L’exploitant agricole ne travaille plus seulement pour lui mais aussi pour les citadins qui veulent que les paysages soient conformes à leurs critères esthétiques et soient adaptés à l’exercice de leurs loisirs (randonnées, gîtes d’étapes, découverte de la faune et de la flore…). Normes et réglementations (dont le très controversé ‘«’ ‘ Natura 2000’ ») ajoutent aux contraintes qui limitent la libre action des producteurs. Des aménagements ‘«’ ‘ utilitaires’ » sont parfois mis en cause par des contraintes paysagères qui font quelques mécontents.

Notes
266.

B.Hervieu et J.Viard : Au bonheur des campagnes (et des provinces), 1996, p.114.

267.

Ibid., p.114.