3.1. Les fêtes, les foires et les marchés : des hauts lieux touristiques ?

Si ces places marchandes ne sont pas à proprement parler des produits touristiques, elles deviennent des lieux d’attraction, c’est-à-dire qu’elles sont susceptibles de faire venir des individus sur un site, une commune.

Il ne s’agit pas de ‘«’ ‘ produits touristiques’ » ordinaires puisqu’ils ne sont pas voués à cette seule fin. Les fêtes à thème, plus que les autres, se sont attachées à sensibiliser les populations touristiques parallèlement à l’animation qu’elles offrent aux populations locales. Les foires-concours et les marchés hebdomadaires, quant à eux, n’ont, a priori, pas de vocation touristique. Pourtant, ils encouragent l’accueil des touristes en leur offrant des animations et en multipliant les supports médiatiques. De plus en plus, les visites commentées et les dégustations expliquées deviennent le second enjeu des foires. Ainsi, les places marchandes sont proposées dans les circuits touristiques organisés pour les groupes. A Louhans notamment, une matinée libre, laissée à des touristes visitant la Bourgogne et le centre linguistique La Tourette (Saône-et-Loire), inclut ce marché dans les découvertes de la France. De manière systématique, ils sont répertoriés dans les guides et dépliants touristiques.

Les fêtes, les foires et les marchés peuvent ainsi très bien être intégrés dans le cadre touristique puisqu’ils proposent une animation et qu’ils répondent aux attentes des touristes en quête de découverte d’un Autre et d’un Ailleurs. Nous avons montré que ces places marchandes passaient pour des représentations vivantes d’une culture et qu’ils permettaient de découvrir et de s’imprégner d’une âme. Ce qui fait leur intérêt pour les populations locales et touristiques tient pour partie dans la valeur symbolique et patrimoniale qu’elles leur attribuent. Ces lieux sont chargés de sens, mais en plus, ils sont symboliques ; ils représentent de manière emblématique un espace plus vaste qui prend pour contour une commune, une région administrative, un ‘«’ ‘ Pays’ »… A ce titre, les places marchandes deviennent des hauts-lieux. J. Davallon met en garde contre la confusion parfois faite entre ‘«’ ‘ haut lieu’ » et ‘«’ ‘ lieu très fréquenté’ » 292 , l’un accompagnant souvent l’autre. M. de la Soudière observe que l’‘»’ ‘ élection d’un site en haut-lieu suppose un auditoire, un public, un consensus très large, massif.’ » 293 Il doit être reconnu par un ensemble de personnes pour justifier sa singularité. En effet, il doit pouvoir confirmer sa mise en valeur, sa mise sur un piédestal, qui légitime l’attention particulière qu’on lui porte. Comme le souligne M. de la Soudière, c’est parce qu’un site a été distingué par rapport à d’autres qui ont été exclus – parce que ceux-ci n’avaient pas assez d’intérêt ou pas assez de sens – qu’un haut lieu le devient. S’agissant d’une sélection, nous pouvons dire que la construction d’un haut-lieu dépend d’un regard ou d’une posture particulière, d’une façon d’interpréter et du contexte contemporain à la sélection.

‘« Voulant voyager utile, rentable, durant nos vacances, c’est de moins en moins la campagne ou la montagne en soi, leurs qualités propres de campagne et de montagne qui attirent et peuvent captiver, que leurs particularités les plus exemplaires, étiquetées comme telles, regroupées et donc plus ou moins recréées, par le biais des "sentiers découvertes", des "topoguides", des "écomusées" par exemple. Non plus la Haute Saône, ou les lacs du Morvan, cette campagne verte des années 70, mais ce qui fait vite et fort image, ce que l’on peut explicitement partager avec d’autres, comme autant de pièces et d’exemples d’un patrimoine commun. » 294

Toute place marchande à ciel ouvert ne peut pour autant constituer un haut-lieu. Quelques-unes deviennent incontournables et se posent en lieux symboliques, en lieux signifiants, en hauts-lieux parce qu’ils symbolisent un espace, un territoire qui inscrit l’individu dans un rapport au local, dans un rapport de communion avec ses semblables, dans un espace idéalisé et rassurant. Seuls, les fêtes, les foires et les marchés à qui l’on consent à attribuer une dimension patrimoniale et où l’on croit trouver une identité locale deviennent des hauts-lieux. Ils sont à visiter, on doit se laisser envelopper de leur pouvoir de nous transformer, de nous faire sentir l’âme du lieu et de s’en imprégner.

C’est parce que la notoriété de ces sites, mais aussi leur signification ont été reconnues c’est-à-dire que l’on a pu observer la valeur que leur attribuaient les populations locales et touristiques et qu’a été constatée leur capacité à représenter et à identifier un espace, que les ‘«’ ‘ autorités locales’ » les ont désignées à leur tour comme des hauts lieux et les ont progressivement mis en scène et en valeur. En effet, c’est parce que certains ont senti l’intérêt que les fêtes, les foires et les marchés pouvaient avoir dans la valorisation et l’aménagement de leur territoire qu’ils se sont imposés au public.

Notes
292.

J. Davallon : « Produire les hauts-lieux du patrimoine » in A.Micoud, Des hauts-lieux, la construction sociale de l’exemplarité, 1991, p.86.

293.

M. de la Soudière : « Les hauts-lieux… mais les autres ? » in A.Micoud, op.cit., p.17.

294.

Ibid., pp.23-24.