3.2. Les fêtes, les foires et les marchés, atouts de valorisation des communes

Voyant les retombées bénéfiques qu’elles pouvaient en retirer, les autorités locales participent à la légitimation, au renforcement ou à la mise en valeur des hauts-lieux. D’abord, ponctuellement, la fête, la foire ou le marché créent une animation qui stimule l’économie commerciale locale. Ensuite, deux aspects intéressants sont dynamisés à long terme et qui s’intègrent dans une démarche de développement. D’une part, la production locale est soutenue, relancée, valorisée, ce qui participe à un développement local. D’autre part, le territoire mis en scène à cette occasion permet d’identifier, de symboliser une ville ou une région de manière positive susceptible de participer au développement touristique et par extension, au développement local. Les fêtes, foires et marchés participent à la mise en valeur d’un espace et à en proposer une image de marque.

Les politiques locales ou territoriales jouent un rôle non négligeable dans les procédures de relance des fêtes, des foires et des marchés et de leur valorisation. Elles décident en effet des choix stratégiques à adopter pour créer des images des territoires dont elles ont la charge et pour soutenir l’économie. Dans le Lot-et-Garonne, une communauté de communes organise, en plusieurs lieux, des ‘«’ ‘ Marchés des producteurs de Pays »’ où l’on peut trouver divers produits issus des productions locales : pruneau d’Agen, foie gras, vins, volailles, charcuteries, fruits et légumes, miel, fromage de chèvre, pain bio… La plaquette éditée par la Chambre d’agriculture affirme : ‘«’ ‘ exclusivement composés de producteurs, les Marchés de Pays sont la vitrine des micro-régions de chaque département’. » Les marchés de producteurs, parce qu’ils se rapprochent des marchés ‘«’ ‘ ordinaires’ », renouent avec la fonction d’écoulement des productions locales. Pourtant, ils ne sont pas destinés à l’approvisionnement quotidien puisqu’ils n’ont lieu qu’une fois par an, en été, en fin d’après-midi, et qu’ils proposent des animations destinées aux touristes : démonstrations de confections artisanales, jeux, spectacles ou autres animations artistiques. L’objectif est ici de valoriser d’abord le territoire, en permettant aussi que toutes les productions soient représentées. Le territoire se recompose en renouant avec l’ensemble de son économie agricole et artisanale. Les fêtes et les foires à thème sont appelées à participer à la valorisation d’une production et d’une filière. Une seule filière, un seul produit est sous les projecteurs. Les Marchés de Pays s’appuient sur les mêmes supports de démonstration d’une qualité et d’une spécificité, mais ils ne relèvent pas de la consécration d’un produit : on ne trouve ni concours de ‘«’ ‘ beauté’ » ou de chansons…, ni discours qui sont dédiés à un seul produit. Ce n’est pas lui que l’on fête ou que l’on découvre.

Par ailleurs, il existe des manifestations locales de création récente qui se donnent pour objectif de proposer aux visiteurs tous les produits représentatifs de la production locale. C’est le cas des ‘«’ ‘ Journées de terroir’ » organisées à Sarlat, en mai, où foie gras et truffes sont présents mais aussi les noix, les fraises, les châtaignes, le vin, le tabac et le maïs. Cette manifestation, initiée par la Chambre d’Agriculture, vise à valoriser l’ensemble des productions du territoire défini, le Périgord noir, en l’occurrence. Les fêtes, les foires et les marchés que nous avons étudiés valorisent plus particulièrement un produit précis. A travers cette valorisation, nous avons vu que ce pouvait être une filière qui s’expose. De plus en plus, c’est aussi une commune qui se met en scène faisant des places marchandes leur emblème.

Les fêtes, les foires et les marchés en tant que hauts-lieux exposent la singularité d’une culture qu’ils désignent ; ils lui sont liés et ils l’identifient. Pour autant, ils ne sauraient s’y réduire. En effet, ils n’en sont que l’aspect le plus visible et le plus valorisant parce que leurs caractères symboliques et identitaires sont largement évocateurs et efficaces pour la valorisation des produits et des lieux. Mais ne deviendraient-ils pas dans le même temps trop réducteurs ou trop caricaturaux ? Ne feraient-ils pas oublier des lieux moins ‘«’ ‘ hauts’ », moins chargés de sens mais qui n’en seraient pour autant dépourvus ? La mise sous les projecteurs de lieux désignés comme ‘«’ ‘ typiques’ » ne ferait-elle pas de l’ombre à des lieux qui ne bénéficient que d’une notoriété réduite aux seules populations locales ? Pourquoi certains seraient-ils dignes de toutes les attentions et d’autres non ? Après un rapide survol, on observe que les fêtes, les foires et les marchés étudiés passent auprès des populations comme étant représentatifs de la production locale ou comme ayant un caractère identitaire marqué. Le fait qu’une production soit privilégiée à d’autres sur la manifestation n’est pas anodin. Les produits exposés sur ces places marchandes sont non seulement de production et d’usage local, mais aussi, ils évoquent un lieu précis pour les populations extérieures. Certains produits prennent le nom du lieu (piment d’Espelette). Le produit de terroir est fortement lié au lieu, il n’est pas reproductible, à l’identique, dans un autre endroit. Il peut alors servir à identifier un lieu et à en devenir l’ambassadeur. La renommée de certains produits est susceptible de contribuer à celle du lieu. Depuis des décennies, voire des siècles, des produits issus de territoires précis sont loués par les gastronomes. Ainsi, à la truffe d’Alsace, certains préfèreront celle du Périgord dont l’arôme serait plus fin. On rapporte par ailleurs que la reine d’Angleterre, par exemple, se fait importer des volailles et des chapons de Bresse élevés à Romenay (Saône-et-Loire). La reconnaissance de la supériorité de certains produits par rapport à d’autres, par des gastronomes ou des notables, n’aurait-il pas le même effet que la reconnaissance par un label de qualité lorsque ceux-ci n’existaient pas. Et encore aujourd’hui n’a-t-on pas tendance à estimer qu’un produit doit être bon s’il est reconnu par un connaisseur qui sait où et comment le choisir ?

La démarche S.R.G. renforce l’association d’un produit – deux au plus – et d’une ville. Il s’agit en effet d’arriver à identifier clairement une production à un territoire géographique et culturel. Le ‘«’ ‘ parasitage’ » par d’autres produits ne peut avoir lieu. Par cette démarche, il ne s’agit pas d’identifier et de valoriser un territoire, mais de valoriser des produits et de les identifier à des lieux. Ces deux procédures peuvent se révéler proches sur le terrain, mais la labellisation souligne leur contradiction.

Si les places marchandes n’ont pas toutes été créées à cet effet, elles deviennent un moyen d’exposer un produit susceptible de représenter un espace afin de le publiciser et de le rendre attractif. Les fêtes, les foires et les marchés sont à leur tour mis en exposition pour représenter une commune. Ce qui faisait l’objet d’un intérêt ‘«’ ‘ spontané’ » de la part des populations locales et touristiques est aujourd’hui repris, renforcé et légitimé par les politiques locales et les procédures de mise en valeur touristique. Le produit est susceptible d’être identifiant. Pourtant, si le piment est clairement associé à Espelette, le pruneau d’Agen n’est pas spontanément associé à Saint-Aubin. De même, s’étendant sur une vaste zone d’élevage, le bœuf charolais ne sera pas identifié à une seule ville, même si Charolles tend à cristalliser sur elle un lien privilégié à cet élevage (par la proximité du nom, par l’agrandissement de la halle et par la création de l’Institut du charolais destiné à la promotion de l’élevage. Mais, que l’on soit à Saulieu ou à Saint-Christophe-en-Brionnais, l’évocation du charolais est incontournable. Certaines villes notamment s’inscrivent dans l’histoire du produit : lieu de naissance (ou de création), place importante dans le négoce international… des ponts sont dressés pour se constituer en digne et légitime représentant. Le patrimoine est convoqué pour construire une image de la ville. Saint-Christophe-en-Brionnais s’inscrit ainsi dans l’origine de la race. Louhans et Sarlat font valoir le rôle du marché dans leur histoire. De manière générale, les fêtes, les foires et les marchés permettent de justifier la place d’une commune dans une production. Si un produit est attaché à un territoire plus ou moins vaste, une fête, une foire ou un marché n’est lié qu’à une ville précise. La place marchande raconte l’histoire du lieu, sa mémoire, sa culture et elle permet de s’en imprégner. Aussi est-elle susceptible d’identifier précisément un site. Les fêtes, les foires et les marchés renommés font la particularité voire l’intérêt du lieu. En cela, ils deviennent des atouts de la mise en valeur touristique.

Les sites cherchent à promouvoir une image forte, marquante, identifiante et valorisante. On observe aujourd’hui que chaque ville, chaque village essaie d’entrer dans le champ touristique en promouvant ce qui peut faire sens : un patrimoine bâti original, des vestiges de telle époque lointaine, une vallée ‘«’ ‘ préservée’ », de grands espaces naturels pour les loisirs sportifs, auxquels un cadre culturel apportera un ‘«’ ‘ plus’ ». On crée aussi des festivals de théâtre, de musique qui font revivre des lieux chargés d’histoire (comme à Vienne, Sarlat, Marciac). Chaque ville entre en concurrence avec les autres et met en valeur ce qui la caractérise, ce qui la distingue. Dans l’approche touristique, quelques éléments symboliques, voire un seul, sont privilégiés pour faire naître l’intérêt, pour caractériser un lieu et l’inscrire dans un état d’esprit.