3.2.2. Des lieux à voir

On peut se demander dans quelle mesure la demande pour un type de tourisme ne serait pas créée ou influencée. Du moins, on peut observer qu’il existe des tendances – ou des modes – et on peut s’interroger sur le rôle que jouent les acteurs du tourisme ou les politiques 297 dans l’émergence de ces tendances. On observe ainsi que certaines thématiques sont mises à l’honneur créant une demande ou y répondant tout en la renforçant. L’industrie du tourisme est une entreprise de séduction. Il faut réussir à ‘«’ ‘ intéresser’ » les individus, à les faire rêver ou du moins à attirer leur attention et à susciter un déplacement. Dans certains cas (communication faite par les Comités régionaux de tourisme, par exemple), on peut parler de véritable vente d’une région, comme s’il s’agissait d’un bien de consommation. Il s’agit d’en faire la promotion à travers la sélection de propriétés propres à séduire le public ciblé. Il faut donner à voir une image de la région et que s’en dégage une impression, presque une philosophie de vie. En effet, comme le remarque C. Origet du Cluzeau,

‘« Sur les 27 marchés étrangers sur lesquels Maison de la France est présente, le principal thème promotionnel retenu depuis les années 90 est celui de l’Art de vivre, terme qui englobe les ingrédients précités : la culture, le tourisme urbain, les festivals… appréhendés dans un contexte où l’art et la manière de vivre « à la française », constituent le mode de consommation et l’expérience humaine spécifique du déplacement. » 298

De la même façon que pour les produits, certains lieux sont désignés pour être représentatifs, chargés de sens et importants à visiter. Des individus peuvent recommander un lieu qu’ils ont apprécié, et de plus en plus de guides sont édités : Guide vert, Guide du routard, Guide bleu… qui sélectionnent pour nous des lieux ‘«’ ‘ à voir’ ». Des produits d’appel sont constitués construisant une image attractive. Sur place, d’autres lieux peuvent être désignés. Chaque message s’impose toujours comme un modèle de vie. Chaque région devient ainsi concurrentielle, même si l’on peut distinguer trois zones qui correspondent à trois types de messages bien distincts : la mer, la montagne, la campagne. Chacune est porteuse de représentations sociales – parfois non fondées – à partir desquelles on attribue certaines pratiques. A l’intérieur de chacune de ces zones, les représentations, le message ne sont pas homogènes. Dans un article intitulé ‘«’ ‘ Identité et imaginaire d’une région’ », S. Rebillard 299 montre ainsi comment le massif des Pyrénées construit une image opposée à celle du massif des Alpes. Les Alpes possèdent déjà un imaginaire collectif fort, basé sur une notion d’altitude et d’élévation. Pour se distinguer des Alpes et être identifiable, les Pyrénées ont dû laisser cette image d’altitude accaparée par les Alpes et construire la leur sur l’autre notion qui définit la montagne, celle de centre, de cœur. Les Pyrénées représenteront plus un imaginaire estival (par opposition à l’imaginaire hivernal supporté par les Alpes) et sont plus centrées sur l’idée de régionalisme et de tradition alors que les Alpes représentent l’internationalisme et la modernité. Chaque région doit ainsi construire son imaginaire par distinction et identification. La communication touristique s’effectue, comme nous avons pu le noter, à différentes échelles. Communication sur un pays, communication sur une région et communication sur une ville. Il devient alors difficile pour chaque ville de trouver son originalité et son caractère. Nous pouvons remarquer que chaque échelle est intimement imbriquée aux autres et en particulier celle de la région et celle de la ville. En effet, la communication de la région passe par l’évocation de ses différentes composantes attractives qui peuvent être des villes. Inversement, l’image des villes prend pour partie l’image constituée par celle de la région. Au sein d’une même région, les villes doivent aussi se démarquer les unes des autres. Pour mieux communiquer, des villes qui se trouvent un point commun et la volonté de le mettre en valeur, se sont associées entre elles sous une appellation commune. Cette appellation fonctionne comme un label c’est-à-dire qu’elle sert de signe, de marque de reconnaissance qui permet d’apporter une garantie au consommateur-touriste. Celui-ci trouve une forme de preuve de la qualité ou de la nature du produit qu’il peut espérer trouver. H. Grolleau et A. Ramus qui, en 1986, faisaient observer qu’‘»’ ‘ en une trentaine d’années, les labels se sont multipliés dans le tourisme rural »’ 300 , relèvent que ceux-ci ‘«’ ‘ ont eu pour objectif, selon les cas, de constituer une ’ ‘«’ ‘ appellation » promotionnelle, de préfigurer une ’ ‘«’ ‘ codification » commerciale ou de structurer des ’ ‘«’ ‘ groupements » promotionnels’ » 301 , visant à participer à la mise en valeur touristique des villes. Chacun met en lumière un lieu pour attirer l’attention des visiteurs. Chaque label a ses propres critères de sélection, sa propre charte et ses propres objectifs, mais tous cherchent à valoriser un lieu en veillant particulièrement à la qualité du produit proposé et de l’accueil. Ces labels identifient un lieu en valorisant particulièrement une de ses caractéristiques, ils se posent en garantie et soulignent l’intérêt que doivent lui porter les touristes. Les sites sont soigneusement choisi soulignant leur intérêt aux touristes. Le label permet ainsi de reconnaître rapidement le site. Il fait ressortir une qualité intrinsèque au lieu autour d’un thème attractif et évocateur, répondant à des thématiques valorisées par les touristes. Comme toute image construite, elle est élaborée selon un mobile de sélection/désignation qui ne se présente pas comme exhaustif mais comme représentatif. Les sites retenus deviennent en quelque sorte des lieux exemplaires. A la fois lieux produits, mis en scène, choisis pour leur singularité, ils sont aussi dignes d’être imités 302 . Ils sont ‘«’ ‘ construits pour signifier la possibilité d’un avenir différent’ 303  ». Ils représentent un lieu tout en proposant sa transformation. Les labels désignent des lieux ‘«’ ‘ intéressants’ », mais ils suggèrent des méthodes pour le mettre en valeur autrement, le mettre en scène. Ils modifient ou renforcent la perception que les touristes ont des sites. De plus, les labels mettant en réseau différents sites, un langage commun est proposé comme une signalétique, des produits identiques, des visites spécifiques qui tendent à assurer un degré de qualité attendue et à créer un réseau touristique. Ils assurent une certaine homogénéité. Ainsi, un individu qui s’est rendu sur un site peut décider de visiter un autre ayant reçu la même distinction, en pouvant y trouver la même qualité d’accueil et du produit touristique. Ils donnent un sens nouveau au lieu.

Si des labels touristiques permettent de mettre en lumière des lieux, une pléthore de labels peut nuire à la communication de chacun et produit l’effet inverse. Au lieu d’identifier des lieux, ils risquent de créer une certaine confusion, d’autant que la plupart des touristes connaît rarement leur contenu. R. Amirou craint également qu’à force de vouloir autant communiquer, les stéréotypes s’installent, trompant un touriste pourtant conscient de sa ‘«’ ‘ naïveté »’ et de se faire avoir 304 . Le touriste cherche ce qui fait vite et fort sens, à retrouver les images qu’il attend par rapport à l’idée qu’il se fait d’un lieu. Cherchant d’une part à identifier un lieu et d’autre part à séduire les touristes, les stéréotypes sont confortés. Certains auteurs parlent de gadgétisation et d’homogénéisation. Pourtant, cela semble de moins en moins être le cas ces dernières années. Une réflexion s’est engagée pour proposer un tourisme de qualité respectueux de la vie locale. Voire même, le tourisme est pensé dans les termes d’un développement local et il intègre les populations locales, en particulier les producteurs. Du moins est-ce ainsi qu’il tend à se présenter dans les discours officiels puisque la réalité du terrain montre une résistance à leur application effective. Cette résistance est due autant à des lourdeurs administratives qu’au poids des lois et décrets – qui peuvent limiter les décisions – ou qu’à un manque de volonté réelle, les mentalités changeant doucement. La gouvernance reste bien souvent utopique.

Ainsi, si R. Amirou reconnaît que l’attraction touristique joue sur les images (préalables), il conseille de ne pas les surfaire. Il souligne d’ailleurs que pour réaliser une communication efficace à long terme, il faut faire ressortir les particularités, montrer que chaque cas est exceptionnel. La ville doit bien se connaître avant de communiquer. Bien se connaître et savoir ce que l’on veut valoriser. On observe ainsi, à travers la construction d’une image d’un site, que s’élaborent des choix stratégiques de label ou de combinaisons de labels. Quelques sites rencontrés cumulent les labels. Quand nous avons questionné sur l’utilité de multiplier les labels, on nous répondait qu’il y avait une complémentarité entre tous, ce qui permettait de valoriser un atout ou un autre et ainsi de multiplier les chances de toucher un visiteur potentiel.

La démarche S.R.G. procède par la désignation de hauts-lieux et donc d’une sélection de certains lieux parmi d’autres. En même temps, les sites ont vocation à devenir exemplaires. En effet, le choix de quelques sites plus significatifs que d’autres les posait, dans un premier temps, comme représentants d’un ensemble. Ils représentent un nouveau territoire puisqu’ils ne désignent pas seulement des sites précis mais qu’ils personnalisent une certaine idée de la gastronomie française instituée en patrimoine. La fonction de simple image tend à laisser la place à une volonté de mise en valeur et de développement touristique par des actions précises et concrètes, centrées sur un patrimoine gastronomique français et bientôt européen.

Notes
297.

Des programmes sont décidés au sein des ministères visant à soutenir un type précis de projets (ouvrir la culture aux jeunes, par exemple) ou de thématiques (comme le patrimoine européen ou le cirque).

298.

C. Origet du Cluzeau : Le tourisme culturel, 1998, p.20.

299.

REBILLARD S. : « Identité et imaginaire d’une région » in AMIROU R. (dir), Les Cahiers d’Espace n° 23. Image, stratégie et communication, 1991, pp. 9-13. 

300.

H. Grolleau, A. Ramus : Espace rural, espace touristique, le tourisme à la campagne et les conditions de son développement en France, 1986, p.296.

301.

Ibid., p.267.

302.

A.Micoud : « Les lieux exemplaires : des lieux pour faire croire à de nouveaux espaces » in A. Micoud, op.cit., pp.53-55.

303.

Ibid., p.54.

304.

R. Amirou, R.Alant : « Villes : de l’identité au positionnement » in Les cahiers d’espace, n°23.