3.3.1. De l’inventaire du patrimoine gastronomique à la sacralisation des lieux

Une étude comparative entre la liste des S.R.G. et les différents volumes de l’Inventaire du patrimoine culinaire de la France souligne la démarche touristique des S.R.G. et les nécessaires sélections que le C.N.A.C. a dû opérer. La comparaison est intéressante car la demande de labellisation S.R.G. peut être légitimée par une référence à l’inventaire. En effet, un des critères pour devenir S.R.G. est de posséder un produit historiquement ancré au lieu. Pour en faire la preuve, ‘«’ ‘ l’utilisation de l’inventaire du patrimoine culinaire de la région concernée est préconisée.’ » 305 Il ne s’agit pas de vérifier la légitimité des sites mais de comparer la démarche de l’inventaire d’un côté, et celle des S.R.G. de l’autre afin de comprendre en partie comment s’est effectuée la désignation des S.R.G. .

Le premier constat qui s’est imposé et dont découleront les autres remarques, est que l’un est centré sur les produits tandis que l’autre présente d’abord des lieux. Par ailleurs, l’étude seule de l’inventaire ne peut pas permettre de deviner quels sites ont été retenus ou non, alors que celle des S.R.G. permet de faire un lien direct aux produits pour peu que l’on connaisse un minimum le site ou la région dans laquelle il se trouve. Tous les produits représentés dans les S.R.G. sont répertoriés dans les Inventaires mais les sites choisis n’y sont pas toujours signalés. On remarque que peu de produits inventoriés ont donné un S.R.G. puisque environ 2500 produits ont été inventoriés et que seule une centaine de sites sont désignés. La distinction fondamentale entre les deux est que l’un relève d’une recherche exhaustive 306 tandis que l’autre se veut exemplaire. L’un se situe dans une démarche scientifique alors que l’autre s’inscrit dans une démarche touristique. L’idée qu’il s’agit d’une démarche touristique est confortée par le fait qu’à l’intérêt gastronomique doit s’associer un intérêt environnemental ou architectural ‘«’ ‘ chargé d’émotion »’ ‘ 307 ’ et que les produits, qui ont permis la reconnaissance du site ont un caractère identifiant. Par-dessus tout, le fait qu’elle se cristallise sur un site unique témoigne d’un processus de sélection/désignation, dans un objectif de valorisation touristique.

Dans les deux démarches, les produits alimentaires occupent une place importante étant donné qu’ils sont inscrits dans un lieu. Pourtant, ce qui distingue l’Inventaire des S.R.G., c’est l’espace auquel le produit est associé. Dans le premier, l’espace concerné est une zone plus ou moins grande, une aire de production ou de pratiques propres. Cette zone peut comprendre plusieurs communes voire un ou plusieurs départements (exemple : la tourtière, gâteau feuilleté fourré, est produit dans cinq départements d’Aquitaine, et la ballottine de dinde, est fabriqué dans toute la région Aquitaine). Elle peut aussi être limitée à une commune voire à un seul producteur (la production de piment d’Espelette est limitée à cette commune, la terrine de Nérac, pâté de gibier farci de foie gras n’est produit que par un charcutier de Nérac, dans le Lot-et-Garonne, sur demande, et durant une période déterminée). Dans le second, le produit ne renvoie qu’à un seul site : une commune ou un site de production. Sarlat a été choisi pour représenter la production de palmipèdes gras et des produits qui en sont issus alors que la production s’étend au Périgord voire à l’ensemble du Sud-Ouest : Landes, Gers… La sucrerie de Bourdon, en Auvergne est à elle seule un S.R.G. . Dans l’inventaire, il s’agit de rendre compte d’un territoire effectif de production ou d’usage tandis qu’à travers les S.R.G., il a fallu désigner un seul site afin de devenir un point de chute pour les touristes. En effet, il ne s’agit pas de délimiter une zone de production mais de la donner à voir aux touristes. Une seule ville ou plusieurs (dans le cas des quatre Glorieuses ou du charolais) représente un produit. Si parfois la production se limite à une seule commune (comme à Espelette) qui donnera son nom au produit, la zone de production de la plupart des produits est souvent plus vaste et s’étend parfois à un département ou à une région.

Les villes retenues attestent toutes d’un lien historique au produit. En effet, non seulement la ville désignée est située sur la zone de production mais, en plus, son nom est lié au produit, soit parce qu’il constitue l’assise de l’économie locale, soit parce qu’il en a fait la renommée (comme centre reconnu de production ou comme centre important de commercialisation). La renommée du site ou du moins la reconnaissance de la notoriété ville/produit est un des critères retenus pour être S.R.G.. On pourra ainsi s’étonner que Saint-Aubin ait été retenu pour représenter le pruneau d’Agen plutôt qu’Agen – qui a donné son nom au produit. Le C.N.A.C. nous rétorquera qu’il a été choisi préférentiellement à Agen parce qu’il y a la volonté de ne pas privilégier les grandes villes. Par ailleurs, on observera que sont privilégiés les sites qui apportent une dimension symbolique, historique ou traditionnelle au produit. On prendra l’exemple de Najac, non citée dans L’Inventaire du patrimoine culinaire de Midi-Pyrénées, alors que cinq autres villes sont indiquées sur la zone de production de la fouace. Au-delà du caractère historique de son architecture, Najac organise une fête dédiée à la fouace qui a un caractère traditionnel puisqu’elle est organisée autour d’une ‘«’ ‘ promenade’ ».

Notes
305.

modalité de labellisation, S.R.G., note interne.

306.

L’inventaire de la région Bourgogne par exemple est composé des catégories suivantes : « aromates et condiments », « boissons et spiritueux », « boulangerie-viennoiserie-confiserie », « pâtisserie », « charcuterie », « fruits et légumes », « produits laitiers », « viandes et volailles », « spécialités diverses ».

307.

« Qu’est-ce qu’un S.R.G. », note interne.