3.3.2. Valoriser des productions ou emblématiser des lieux : l’exemple de Sarlat et du sarladais

Le cas de Sarlat, pour unique qu’il soit, donne un exemple de la manière dont se sont effectuées la sélection et la désignation. Toutes les étapes qui ont procédé à la liste des S.R.G. ne sont pas clairement définies (ni par les membres du C.N.A.C., ni par les sites, ni par l’actuelle chef de projet de l’association). Néanmoins, nous pouvons signaler des pistes. On s’étonnera en particulier que le marché de Sarlat soit S.R.G. contrairement à Périgueux qui se trouve également en Périgord et qui est souvent cité comme étant un centre important de commercialisation des produits régionaux. La distinction Sarlat/Périgueux ne peut s’expliquer par la zone de production des volailles grasses qui recouvre les deux et ce n’est pas leur intérêt esthétique qui les oppose puisque les deux ont un caractère architectural historique.

Les deux villes entrent dans un schéma concurrentiel. L’inventaire des produits d’Aquitaine montre une certaine proximité entre les deux. Châtaigne, fraises, noix, truffes, foie gras ou canards gras sont produits de la même façon dans tout le Périgord, voire dans tout le Sud-Ouest pour les deux derniers. On remarquera que la ville de Vergt organise une fête de la fraise, durant laquelle se déroule un concours 308 mais qu’elle ne prétend pas à l’obtention du label S.R.G.. Signalons également que le livre Marchés de France consacre plusieurs pages au marché de Périgueux (aussi vanté par Gault et Millau) et aucune à Sarlat. Pourtant Sarlat et le sarladais sont souvent cités et jouissent d’une importante renommée. L’Inventaire du patrimoine culinaire d’Aquitaine relève qu’historiquement les noix de Sarlat sont plus réputées : ‘«’ ‘ Fulbert Dumonteil, dans la France gourmande en 1905, d’affirmer que "les plus belles noix sont celles du Périgord et dans le Périgord, les noix de Sarlat’" 309  ». Concernant les truffes, l’Inventaire rappelle que la truffe du Périgord n’a pas toujours été réputée, et qu’elle était devancée par celle du Dauphiné, de la Provence ou de Bourgogne. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’elle est réellement découverte et que son développement sera encouragé notamment avec l’apparition du chemin de fer. A la fin du XIXe siècle, les principaux marchés aux truffes du Périgord, par ordre d’importance, sont : Salignac, Sarlat, Thenon et Périgueux. Aujourd’hui, les principaux marchés de Dordogne sont : Sainte-Alvère, Saint-Partaly-d’Excideuil, Brantôme, Vergt et Périgueux 310 . L’association des Journées du terroir signale que Sarlat ne connaît plus trop de transactions commerciales des truffes puisqu’il n’existe plus de marché officiel. Néanmoins, l’implantation de nouvelles truffières laisse espérer la création d’un marché aux truffes à Sarlat en 2002-2003. La place qu’occupent ces productions dans les pratiques et l’économie locales ne sont pas des facteurs déterminants et exclusifs pour être S.R.G.. L’Aquitaine (la Dordogne et le Lot-et-Garonne surtout) est la première région nationale productrice de fraises (A.O.C. et demande d’I.G.P.). La noix est aussi bien représentée puisque ‘«’ ‘ le sarladais assure plus de la moitié de la production en Dordogne, lui-même deuxième producteur français’ ». Un document transmis par l’association des journées du terroir explique que ‘«’ ‘ durant plusieurs siècles, la châtaigne fut le principal aliment des Périgourdins et remplaçait le blé’ ». De plus, aujourd’hui ‘«’ ‘ la Dordogne est le quatrième producteur de châtaignes’ ». Ainsi, si la châtaigne appartient au patrimoine gastronomique de la Dordogne, il n’en fait pas la réputation. Pour le consommateur, la châtaigne ne sera pas associée à la Dordogne mais plutôt à l’Ardèche. Le foie gras, (en 1995, l’Aquitaine a produit 3176 tonnes de foie gras, ce qui représente la moitié de la production nationale » 311 ) n’est pas prioritairement produit en Dordogne puisque l’on peut citer le Gers en région Aquitaine mais l’Alsace également. Néanmoins, il est souvent associé au Périgord et, plus généralement au sud-ouest de la France. Sarlat représente ainsi, pour l’ensemble de la population nationale, un certain art de vivre et de la bonne gastronomie. Sarlat est désigné S.R.G. pour son foie gras, alors que la région salardaise produit également des truffes, des fraises (A.O.C.), des noix… Tous les produits n’ont pas été retenus pour désigner Sarlat. C’est le produit emblématique du sud-ouest qui est aussi emblématique de la gastronomie française, des produits de luxe et du fameux paradoxe français. Le foie gras représente plus qu’une région, il appartient à l’image gastronomique nationale comme ont pu l’observer D. Coquart et J. Pilleboue 312 . Les fraises ou les noix n’ont pas la même charge symbolique. Elles ne désignent pas une région ou une gastronomie ‘«’ ‘ typique’ », c’est pourquoi elles ne correspondent pas à la démarche S.R.G.. Par ailleurs, le choix précis de ce site doit beaucoup à la renommée de son ensemble architectural et sans doute au rôle des personnalités contemporaines ou passées qui l’ont traversé. Ces exemples nous montrent que ce n’est pas tant le passé historique local du produit ou sa place dans la production nationale qui compte, mais bien plutôt sa participation à la renommée du lieu dont il devient parfois l’emblème. C’est pourquoi la démarche de l’Association des Journées du terroir s’oppose à celle des S.R.G. puisqu’elle prend en considération l’ensemble des productions du Périgord noir, notamment les plus emblématiques et qu’elle les met tous sur un pied d’égalité. On observe que se construit un territoire : le sarladais. A travers les documents de l’Association des Journées du terroir, on relève l’usage successif des termes ‘« Dordogne’ », ‘«’ ‘ Périgord noir’ », ‘«’ ‘ Sarladais’ », ‘«’ ‘ Aquitaine’ » pour signaler la production et signifier que le sarladais s’impose comme centre de production.

La démarche S.R.G. s’appuie donc sur le choix d’une ville ou d’un village intéressant sur le plan touristique, associé à un produit emblématique de la ville et aussi, pourrait-on dire, emblématique de la production nationale. Les S.R.G. sont proches de l’inventaire dans la mesure où les produits classés se trouvent dans l’inventaire. Pourtant les S.R.G. effectuent deux types de sélection/désignation : le choix d’une ville plus qu’une autre et le choix d’un produit au sein d’un ensemble de production, une ville ou une région ne produisant pas exclusivement un seul produit. Ce sont donc des villes et des produits emblématiques d’une région, d’une zone de production qui sont choisis. La sélection étant à visée touristique, elle s’appuie sur les images déjà constituées d’un lien entre le produit et la commune et elle les renforce.

M. Laplante fait remarquer qu’‘»’ ‘ il n’y a pratiquement pas d’attractions touristiques qui attirent "naturellement", c’est-à-dire sans intervention pour les rendre attirantes’. 313  » Parce que les fêtes, les foires et les marchés ont une fonction économique, sociale et symbolique, ils ont un caractère attractif. Néanmoins, en les désignant dans des guides ou par des labels touristiques, on leur attribue une nouvelle fonction. Non seulement ils sont des produits touristiques « à voir », mais en plus, eux-mêmes deviennent des ‘«’ ‘ marqueurs’ » pour identifier des sites. Le terme de ‘«’ ‘ marqueur’ » est compris selon la définition qu’en donne M. Laplante : ‘«’ ‘ tout élément d’information à propos du "sight", lui-même à comprendre comme "une-chose-devant-être-vue".’ ‘ 314 ’ ‘ »’ La sélection peut laisser apparaître des stratégies concurrentielles en terme d’images, d’autant plus que les C.R.T. ont participé à la sélection initiale. L’observation de l’inventaire ne permet pas de saisir la sélection des S.R.G.. A l’inverse, l’observation des S.R.G. met en lumière le lien ‘«’ ‘ évident’ » qui existe entre le produit et la ville. Le lien entre les deux n’est pas remis en question. Seulement, on s’étonne parfois de l’absence d’un site et du choix d’un site par rapport à un autre. On ne remettra pas en cause la pertinence du choix d’un site plutôt qu’un autre, on étudiera ce que nous apprend ce choix dans le discours de valorisation d’un produit ou d’une ville et sur le sens de la recherche d’une représentativité de la gastronomie française.

Notes
308.

L’inventaire du patrimoine culinaire de la France, Aquitaine, Paris, Albin Michel, 1997, p.157.

309.

Ibid., p.161.

310.

Ibid., p.200.

311.

Ibid., p.211.

312.

D. Coquart et J. Pilleboue (et J. Andlauer) : » Le foie gras : un patrimoine régional ? » in M.Rautenberg, A.Micoud, L.Bérard, Ph.Marchenay, Campagnes de tous nos désirs, 2000.

313.

M.Laplante : « Le patrimoine en tant qu’attraction touristique : Histoire, possibilités et limites », in Neyret R (dir), Le patrimoine atout de développement, 1992, p.55.

314.

Ibid.