5.1.2. Le label n’est approprié que si l’on s’en sert

La phase de sélection que nous venons de décrire va déterminer la manière dont le label sera intégré au local. Par intégration, nous entendons la place qu’il occupe chez les acteurs locaux et sa visibilité qui peut s’exprimer par l’élaboration de projets. Deux tendances se détachent clairement l’une de l’autre : celle où l’on perçoit un quasi-désintérêt pour le label et celle où le label est mis en valeur. Nous voyons ainsi que les sites qui l’ont défini comme ‘«’ ‘ on ne l’a pas demandé »’ ne le valorisent pas, alors que ceux qui ont perçu un intérêt développent un système opératoire devant rendre ‘«’ ‘ efficace’ » le label. Autrement dit, c’est parce qu’on suppose qu’il peut avoir des effets, des retombées positives qu’on se l’approprie et qu’on le valorise et donc qu’il devient actif.

Cette première tendance s’est retrouvée à diverses mesures à Romans, Sarlat et Espelette. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, à Romans, c’est nous qui avons provoqué le sujet S.R.G.. Il est expliqué et compris de manière assez flou et inexacte : ‘«’ ‘ C’est par rapport à la fête de la raviole. La semaine du goût nous a donné le prix et nous a classé.’ » Le C.N.A.C. n’est pas du tout évoqué et il n’est fait aucune mention de l’association S.R.G.. L’organisateur de la fête est tout de même satisfait que la fête soit reconnue et il remarque que cela leur permet de figurer dans un ouvrage. Il est à souligner qu’au premier contact – en mars 1999 par téléphone – avec une personne de l’Office de tourisme on nous apprit que Romans n’adhérait pas à l’association. En mai 1999 nous avons reçu la réponse envoyée du même Office de tourisme en février 1999, où il était écrit que Romans adhérait à l’association. Après nous être interrogé, nous en avons déduit que Romans reconnaissait avoir eu ce label mais qu’il n’adhérait pas à l’association. Il a dû y avoir confusion, dans le courrier, entre le label et l’association. La personne qui a répondu affirme que les représentants du site (O.T., organisateurs, municipalités) n’attendent rien de ce label, qu’ils ne le mettent pas en valeur mais qu’ils en sont ‘«’ ‘ très honorés’ », ce qui tend à montrer qu’ils sont attachés à l’appellation plutôt qu’à l’association. Le label ne fut pas cité du tout ni par l’adjoint au maire rencontré sur place ni par les producteurs. Par ailleurs, le label ‘«’ ‘ Terroir et patrimoine’ », qui associe visite guidée et repas composé des produits emblématiques, est valorisé par l’O.T. parmi les supports de découverte de la ville.

On peut penser qu’il en va de même à Espelette où le label n’a jamais été évoqué. Le maire nous en a seulement parlé en nous expliquant que sa commune avait été choisie, mais qu’elle n’a ni les moyens ni la volonté de valoriser le label ou de mettre en place un projet touristique. Il déclare pourtant adhérer à l’association car pour lui cela apporte reconnaissance et notoriété à sa fête.

La ville de Sarlat adhère à l’association des S.R.G.. Cependant il existe une certaine confusion autour du label et on n’observe pas de volonté de le mettre en valeur. Seul X. L. a une bonne connaissance du label et de la vie de l’association et participe aux réunions. Selon lui, le label S.R.G. n’apporte rien à la ville de Sarlat. Au contraire, il estime que c’est Sarlat qui sert de ‘«’ ‘ locomotive’ » aux autres puisqu’elle est déjà très touristique et très connue. Sarlat possède un forte image de marque élaborée sur des notions d’architecture, d’histoire et de gastronomie. Pour lui, le label S.R.G. semble intéressant mais il trouve que l’association manque de cohérence 334 .

Le dossier S.R.G. a d’abord été suivi par le service communication de la mairie de Sarlat, mais il a été relégué au président de la Chambre d’agriculture qui s’en ait déchargé en janvier 1999 auprès de l’‘»’ ‘ association des journées du terroir’ » qui se crée alors. Cette dernière prend le relais du Comice agricole dans l’objectif d’organiser les journées du terroir qui ont lieu à Sarlat le week-end de la Pentecôte et de valoriser l’ensemble des produits du Périgord Noir (truffes, foie gras mais aussi fraise, noix, châtaigne et tabac). Cette communication se fait localement avec ces journées du terroir qui permettent de rencontrer les producteurs et de les voir travailler, puisqu’il y a des démonstrations. L’association se déplace aussi sur des salons, avec des producteurs, pour faire connaître les produits. En juillet 2000, C.E., employée de cette association reconnaissait ne pas avoir saisi l’intérêt des S.R.G.. Toutefois elle trouve nécessaire que Sarlat soit représentée à Paris. M. J., adjoint au maire chargé de la communication estime que Sarlat a une image positive qui attire en nombre les touristes. Le questionnant sur les S.R.G., nous constatons, au bout d’un certain temps qu’il y a confusion avec la semaine du goût. Sa préoccupation sera tout de même celle d’une valorisation des produits du Périgord, leur mise en valeur et une recherche de qualité, avec le concours des producteurs.

Sarlat ne voit pas l’intérêt de participer à l’association des S.R.G. car sa renommée est plus forte que celle de l’association. Pourtant C. E. observe qu’il ne faudrait justement pas ‘«’ ‘ s’endormir sur ses lauriers’ ». L’image de Sarlat est déjà faite et elle est plutôt positive. Plus qu’un problème de notoriété ou de manque de notoriété, on observe un décalage entre l’image véhiculée par les S.R.G. et la démarche engagée localement. L’association des ‘«’ ‘ Journées du terroir »’ a pour objectif de valoriser les produits du Périgord Noir mais le label S.R.G. n’est pas susceptible d’y participer. En effet l’association des ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » joue pleinement son rôle, elle est ancrée dans l’économie locale, puisqu’elle est composée du regroupement de producteurs et surtout elle prend en compte tous les produits de l’économie locale et non uniquement du gras. Nous aurions pu penser que les ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » remplissaient la même fonction qu’aurait pu jouer une association des S.R.G.. Or elles semblent incompatibles. En effet l’association des ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » prend en compte l’ensemble des produits du Périgord Noir, par opposition aux S.R.G. qui mettent en valeur Sarlat et les produits gras. Le choix pour un seul produit, le gras, a été décrit comme constituant une emblématisation. Dans ce cas, le produit passe aussi pour représenter la haute gastronomie française. Le fait de retenir plusieurs types de produits représente-t-il une réalité locale ? J.Bessière qui a consacré une partie de sa thèse de doctorat à l’analyse de la valorisation du patrimoine gastronomique du Périgord Noir observe que dans les années 50, avec la mécanisation, ‘«’ ‘ des productions traditionnelles : châtaignes, noix, truffes etc. deviennent le symbole d’une société agricole archaïque et désuète. [Pourtant, dans les années 80,] reprises, stimulées et intégrées dans un nouveau schéma de développement territorial et touristique elles se repositionnent désormais jusqu’à devenir centrales dans la société locale. »’ ‘ 335 ’ Là aussi, il se réalise une forme d’emblématisation. Avec la valorisation de l’ensemble des productions s’élabore et se renforce le territoire du Périgord Noir. La constitution de ce territoire s’inscrit dans une démarche de développement économique qui repose sur l’imbrication entre agriculture et tourisme. Il y a donc une différence d’échelle (Périgord Noir/Sarlat/France) à partir de laquelle il ne serait possible de construire la même image, ou le même type de développement. C. E. se demande si son association ne pourrait pas avoir le label S.R.G., ajoutant aussitôt ‘«’ ‘ qu’est-ce que ça changerait pour nous’  ? » La grosse différence qui est mise en avant dans les deux démarches se négocie dans l’image à donner de soi. En effet, les S.R.G. renvoient à ‘«’ ‘ la belle image touristique, offerte dans les catalogues »’ et les ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » se veulent le reflet d’un pays, de gens qui y travaillent. L’association des ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » semble aussi plus réelle et plus concrète pour les locaux que l’association des S.R.G. qui passe pour une entité abstraite. C. E. fait ainsi observer qu’au sein de son association, ‘«’ ‘ avec ma présidente, ou d’autres personnes, il y a des rencontres (…) C’est très important que les gens se rencontrent (…) Je veux dire, des gens qui parlent ensemble, qui passent du temps, qui échangent les idées et qui font que ça donne envie aux autres de faire d’autres choses (…).’ » Elle souligne ainsi que c’est ce qui fait défaut à l’association des S.R.G.. N’ayant établi aucun lien interpersonnel par le biais des S.R.G., l’association lui semble abstraite et lointaine, alors que celle des ‘«’ ‘ Journées du terroir’ » décline, au contraire, les idées de contact et de proximité. Il s’opère ici clairement une opposition entre local et national. Pour elle, la démarche qu’elle réalise au niveau local ne saurait avoir lieu au niveau national.

Pour des raisons diverses, ces trois sites ne se sont pas approprié le label qui pour eux n’est qu’un logo, une récompense. Nous venons d’expliciter le cas de Sarlat où le label S.R.G. est jugé comme inefficace car il n’est pas susceptible de valoriser l’ensemble des productions et qu’il a une notoriété beaucoup moins importante que celle de la ville. A Espelette se combinent deux aspects : le manque de moyens et surtout la volonté de se préserver du tourisme pour conserver l’entre-soi. A Romans deux choses peuvent expliquer le fait que le label n’est pas adopté. D’abord, nous avons vu que Romans avait bénéficié d’un prodigieux support médiatique qui lui assurait sa réussite aujourd’hui. Ensuite il manque une structure potentiellement porteuse des projets S.R.G.. En effet, nous avons vu que la fête était le rassemblement ponctuel de diverses entités entre lesquelles il existe une certaine harmonie (pour s’organiser) mais non une cohésion forte puisque chaque quartier est chargé de sa propre association. La municipalité qui soutient financièrement et moralement la fête ou l’office de tourisme ne semblent pas sensibilisés aux S.R.G.. La personne à l’initiative de la fête ne pourrait à elle seule supporter cette démarche S.R.G., et cela ne semble pas être dans ses objectifs qui sont plutôt orientés vers l’animation et la dimension festive. Il n’existe pas non plus de réelle mise en valeur des productions sur le site, hormis la présence ou la demande de labels de qualité au sein de chaque filière.

La deuxième tendance est celle où les sites ont une vision élaborée et explicite de l’association des S.R.G.. Contrairement aux premiers, ils se sont appropriés le label, le comprennent à leur façon mais ont saisi les étapes de sélection, les différents acteurs concernés et les actions menées par l’association. Ils se sont investis dans le label ou du moins, ils le mettent en valeur. Il entre ici pleinement dans une volonté de communiquer sur la manifestation ou sur le site. Certains proposent même des animations spécifiques. Mais nous y reviendrons un peu plus loin.

Nous pouvons ainsi observer que le label n’est approprié que lorsque les sites estiment qu’il a une utilité pour eux. D’une part, il y a ceux qui ne le se sont pas approprié parce qu’ils ne souhaitaient pas valoriser l’appellation ou parce qu’elle ne semble pas susceptible d’apporter une plus-value. D’autre part, ceux qui veulent et qui pensent pouvoir en tirer un profit personnel se l’approprient. M.B., chef de projet de l’association nationale des S.R.G., remarque que nombre de sites ont interprété leur sélection comme une fin alors que, d’après elle, elle devrait être pensée comme un commencement, où tout reste à faire.

Notes
334.

Cette impression émane de notre dernier entretien, en mai 2000, alors que le C.N.A.C. annonçait sa prochaine disparition. A ce moment-là, le réseau manquait encore d’organisation et il était peu valorisé.

335.

J.Bessière : Valorisation du patrimoine gastronomique et dynamiques de développement territorial, le Haut Plateau de l’Aubrac, le Pays de Roquefort et le Périgord Noir, 2001, p.192.