5.3.1.4. D’une reconnaissance à un espace de projets

Les sites ont un rapport d’usage au label, c’est-à-dire qu’ils se servent de ce qu’il peut leur apporter. Saint-Christophe-en-Brionnais et Louhans organisent des animations dans le cadre de la Semaine du goût. S’il leur semble être de leur devoir en tant que S.R.G. de participer à cette Semaine du goût, et si celle-ci est l’occasion d’exposer le logo S.R.G., c’est plus l’image de la Semaine du goût qui est exploitée que celle des S.R.G. Dans un premier temps Louhans ne mettait pas à profit le réseau d’échanges proposé par la vie associative, mais elle espérait bénéficier du label en terme d’image. Aucun producteur n’avait été sollicité et seuls la ville et l’Office du tourisme valorisaient ce label en le citant dans leurs articles. Aujourd’hui, Louhans envisage d’entamer une participation active au sein de l’association des S.R.G.. Il s’agit d’une approche culturelle du goût qui vise à créer un événement attractif pour les populations locales et touristiques qui a priori n’engage pas les producteurs locaux. On assiste donc à une valorisation de la ville en renforçant son lien à une image de gastronomie. Saint-Aubin et Saint-Christophe-en-Brionnais semblent éloignés des décisions associatives ; néanmoins ils en tirent des bénéfices en mettant à contribution des producteurs. La participation de ceux-ci, qui se concrétise par le déplacement sur les Salons, est à leur propre charge. Il s’agit d’une démarche individuelle qui correspond à un modèle de commercialisation dans un but économique ; ils ne viennent pas comme bénévoles au service de la ville, ils viennent avant tout pour vendre leurs produits. Néanmoins, les supports qu’ils peuvent offrir (dépliants touristiques ou séjours à la ferme) permettent de faire connaître la ville d’où ils viennent et dont sont issus les produits. Dans les deux cas l’appropriation du label se fait de manière individuelle par des producteurs, même si localement il existe une volonté de valoriser la ville.

Saulieu et Billom ont réussi à devenir ‘«’ ‘ permanents’ », le premier en organisant un réseau de professionnels (restaurateurs, bouchers, éleveurs), l’autre en proposant des animations. Si dans les deux cas il s’agit de valoriser des productions, les enjeux ne sont pas les mêmes. L’un s’engage auprès des professionnels pour défendre une filière et une qualité des produits à prouver devant les consommateurs. L’autre soutient une démarche de valorisation d’une production, de manière festive. La communication et les animations organisées à Billom rendent un organisateur de la fête du charolais admiratif. La mise en image du site ne repose donc pas sur le seul caractère emblématique du produit, mais aussi sur la façon dont il est valorisé.

A travers ces exemples, nous voyons trois manières différentes de s’approprier le label. La mobilisation locale autour du label n’est pas la même partout. Les communes de Saint-Aubin et de Saint-Christophe-en-Brionnais semblent intéressées mais seuls quelques individus (producteurs ou éleveurs) s’engagent en devenant des ambassadeurs. Ils sont aussi les seuls à bénéficier des retombées. A Billom et à Saulieu, les acteurs concernés par la valorisation du produit support de la labellisation se sont fortement mobilisés, mais les maires se désintéressent plus ou moins de cette démarche. A Louhans, la situation est inversée puisque la mairie porte un vif intérêt à ce label comme atout de développement économique, alors que la filière des éleveurs de volailles de Bresse n’est pas active dans la démarche.

Ces situations témoignent des différents objectifs que chacun s’est fixés à travers le label. Chaque groupe ou collectivité locale à qui a été remise l’appellation l’a traduite pour l’adapter au contexte local et a ses propres attentes.

Le label S.R.G. est surtout approprié localement par un seul groupe ou un seul secteur d’activité. A Saulieu particulièrement se met en place progressivement un réseau regroupant différentes entités (bouchers, restaurateurs, éleveurs) qui contribue à la mise en valeur de l’ensemble du territoire. De la désignation du site mis en lien avec le contexte local, il ressort que ce label n’est approprié que s’il existe un projet local auquel il est susceptible de participer (en le mettant en valeur, en le légitimant…). Le nouveau critère de sélection des sites s’assure de l’appropriation locale en exigeant la présence d’une association pour porter le label et le mettre en valeur.

Les actions qui émergent soulignent le changement d’objectifs du label qui à l’origine ne faisait que rassembler des sites ‘«’ ‘ remarquables’ » et en dresser la liste. Aujourd’hui le label semble s’inscrire dans une démarche de ‘«’ ‘ territoire-projet’ ». Le territoire devient un espace de projets, au sein duquel le patrimoine est souvent convoqué comme ressource et comme moyen d’identification. Ce nouveau territoire peut être construit comme espace de développement économique. Pierre Chazaud dans Marques et labels touristiques note, au sujet des marques de territoire (tel que ‘«’ ‘ Pays cathare’ » par exemple) qui se développent, qu’elles risquent de changer le rapport du touriste au territoire en en faisant un ‘«’ ‘ espace de vente ou de spectacle. »’ 348   A l’inverse, il estime qu’elles peuvent ‘«’ ‘ se mettre au service d’un territoire afin qu’il décline sa véritable identité’ 349  », à condition, ajoute-t-il, que la marque sache trouver et valoriser l’identité du lieu.

La mise en valeur du patrimoine comme développement économique des territoires a fait l’objet d’un colloque en mai 2002 au cours duquel fut soulignée la nécessité de considérer l’ensemble des ressources et de réaliser la concertation de tous les acteurs locaux. Si la valorisation des patrimoines se révèle efficace dans le développement local, tout ne peut être valorisé. Nombre d’interventions ont montré que les populations locales doivent se retrouver à travers les projets et pouvoir contrôler l’image qu’on donne d’elles-mêmes. En effet, les processus de valorisation ou d’aménagement des territoires tendent à modifier leur espace quotidien. Aussi est-il nécessaire de consulter les populations voire de les impliquer dans les projets pour qu’elles ne se sentent pas exclues ou incomprises. La présentation de différentes expériences synthétisées par M. Rautenberg souligne la nécessaire ouverture des territoires afin d’éviter un enfermement identitaire et une exclusion de l’étranger.

‘« D’abord, il y a une ouverture à faire sur l’intérieur même d’un territoire ou cohabitent des populations qui n’ont pas forcément la même idée de ce que doit être le patrimoine à valoriser (ou à reconnaître). (…) Ensuite on peut favoriser la collaboration entre plusieurs territoires, voisins ou éloignés, qui va permettre de croiser les regards, de comparer les manières de faire, de faire émerger des intérêts communs. » 350

M. Rautenberg conclut en soulignant que ‘«’ ‘ dans notre monde contemporain, où les territoires hérités ne sont plus forcément des cadres pertinents pour administrer l’action des hommes, la notion de projet, qui est par nature limitée dans le temps pourrait devenir prioritaire dans de nombreux cas.’ »

Dans le cas des S.R.G., l’idée de territoire-projet semble se développer et se mettre peu à peu en œuvre. Si un réseau d’échanges se crée, marquant une ouverture sur l’extérieur, la mise en valeur du local se limite à une seule production, emblématisée. La valorisation du produit et du site rassemble différents acteurs mais y a-t-il partout une véritable concertation locale autour de ce projet ? Les S.R.G. semblent marquer leur reconversion, mais peut-on parler de mise en valeur d’un territoire dans leur cas ? De quel territoire s’agit-il ? Quel projet est mis en place pour montrer quel territoire ?

Des expériences comme celles réalisées à Louhans ou à Saulieu tendent à faire d’un projet fédérateur et plus ou moins mobilisateur un outil du développement local et de la mise en valeur du territoire. Ces projets résultent de l’appropriation ‘«’ ‘ active’ » du label par différents acteurs locaux permettant de mettre en lumière un patrimoine qui rassemble les populations locales et qui est exposé, donné à voir de manière ludique ou pédagogique aux populations extérieures.

Les S.R.G. s’inscrivent dans une démarche de mise en image des lieux. Néanmoins nous pouvons signaler une distinction entre le niveau collectif qui vise la promotion d’une marque et le niveau local qui tend à valoriser un espace de pratiques. En effet, les projets locaux s’attachent à considérer un espace défini par l’élaboration d’un produit spécifique identifiant cet espace. C’est pourquoi les appellations ‘«’ ‘ paysage’ » ou ‘«’ ‘ maison’ » du goût semblent plus adaptées que celles de ‘«’ ‘ sites ».’

Les projets sont encore balbutiants et la réflexion locale n’est pas encore aboutie. Néanmoins les sites désignés qui mettent en valeur le label au niveau local en font un outil propre à valoriser un espace. Si un espace de projets peut émerger dans certains cas, le label S.R.G. n’est qu’un moyen de promotion touristique pour la plupart des sites observés. Le label ne révèle pas des besoins, il les légitime et les accompagne.

Notes
348.

P.Chazaud, op.cit., in M.Thiard, Marques et labels touristiques, p.98.

349.

Ibid.

350.

M. Rautenberg : « Patrimoines et territoires » in Patrimoines, territoires et création d’activités, 2002, p.68.