6.2.2. De la diversité des terroirs au partage commun de pratiques culinaires

Plus que la vente ponctuelle d’un produit, les exposants cherchent à faire découvrir un produit particulier au consommateur pour qu’il en ait une bonne connaissance, qu’il en saisisse la spécificité et qu’il continue à le consommer. En 1999, J.J., organisateur du salon observe que pour que les exposants se déplacent il faut qu’ils trouvent leur intérêt, qu’ils fassent leur ‘«’ ‘ business’ », mais au-delà de l’intérêt économique, il est aussi important pour eux d’apprendre à connaître les produits : ‘«’ ‘ La dame d’Arbois, elle faisait une vraie dégustation de vin jaune. Les gens qui connaissaient pas le vin jaune, elle les amenait au goût du vin jaune, doucement. En dégustant d’abord du vin du Jura, puis on arrivait au vin jaune, avec des morceaux de comté. Elle vendait pas du pinard, elle vendait pas du fromage, elle vendait un savoir. Je crois que c’est ce qui plait essentiellement. Leur faire un petit peu de culture. A mon avis, ça fait partie des compétences du C.N.A.C. et des gens des S.R.G. de faire des choses comme ça ’». Les exposants reconnaissent ainsi que le salon est un travail de promotion : pour se montrer, se faire connaître et reconnaître. Le producteur de cresson affirme ainsi que le salon ‘«’ ‘ est une opération, à mon avis, pour faire connaître la production. Pas forcément pour faire un profit lors de salons, mais c’est avant tout pour faire connaître la profession. Pour dire aux gens : "Vous voyez, il y a encore du cresson" et que les gens quand ils vont faire leur marché ou chez leur commerçant, ils demandent du cresson’ ». Cela est encore plus flagrant pour le site de Bourdon.Leur stand est un peu particulier puisqu’ils n’ont rien à vendre, leur production étant exclusivement destinée à l’industrie dont l’emballage fait au minimum vingt kilos. Quelques morceaux de sucre faits à titre promotionnel comme ceux que l’on trouve dans les brasseries sont disposés sur une table. Le salon S.R.G. est, comme la semaine du goût lancée par la Collective du sucre, un moyen de promouvoir le sucre 359 , souvent pris pour cible par les régimes minceur, anti-cholestérol… et de plus en plus remplacé par des substituts alors même que sa consommation est restée stable depuis 20 ans. Désignés pour représenter un des quatre goûts fondamentaux, ils l’ont aussi été pour la particularité de leur site, la sucrerie de Bourdon possédant un caractère architectural et historique. Créée en 1837 elle est aujourd’hui la plus ancienne sucrerie en fonction. Elle est aussi la plus petite avec 93 employés permanents et 70 saisonniers. La sucrerie de Bourdon, n’est visitable que durant la période de récolte des betteraves (d’octobre à décembre).

Sur le salon, il s’agit surtout de faire connaître un produit, de ‘«’ ‘ défendre une qualité’ » (Saint-Nectaire), de lutter contre l’uniformisation des goûts. Ainsi le producteur de Saint-Aubin fera découvrir ses productions dérivées du pruneau. Pour cela, chacun propose une dégustation du produit, accompagnée d’explications, de conseils… La personne de l’office du tourisme du site de Domfront observe ainsi que l’échange consommateur/producteur est essentiel. ‘«’ ‘ Une personne qui va l’acheter sans l’avoir goûté [le calvados estimé plus parfumé car il contient de la poire], il va peut-être pas l’apprécier, ou pas savoir pourquoi, alors qu’ici, pendant la dégustation, on va faire goûter un produit, il va peut-être pas apprécier, on va passer sur un autre produit. Il va voir la différence… ’» Pour tous, il est utile d’expliquer le produit afin de le connaître et de mieux l’apprécier. Pour certains, il s’agit de faire comprendre la qualité du travail par rapport à des produits ordinaires et ainsi de justifier des prix élevés. Pour les producteurs de Nyons qui font déguster de la tapenade, c’est le meilleur moyen de faire connaître et d’expliquer la fabrication de leur huile d’olive ailleurs que dans leur moulin. A 120 F le litre, cette huile ne peut entrer dans les grandes et moyennes surfaces. Le salon permet d’aller à la rencontre du consommateur et de lui faire changer ses habitudes, c’est-à-dire de leur faire consommer le produit : ‘«’ ‘ Ceux qui connaissent pas, on leur fait goûter le produit. Des fois, ils disent que l’huile est chère. Mais bon, ça, c’est parce qu’ils connaissent pas trop le produit, ils savent pas trop de quoi ils parlent. Ceux qui connaissent, ils posent pas de questions, ils prennent le produit. Ils ont pas peur de prendre un bidon de cinq litres, voire plusieurs. Ceux qui connaissent, ils ont pas peur d’acheter. Ils connaissent le produit, ils savent que c’est un produit de qualité.’ » Nombre de produits ne font pas partie des habitudes des visiteurs qui doivent apprendre à les préparer. On observe que pour l’occasion des produits innovants se créent, pour s’adapter aux conditions de stockage des produits et aux pratiques culinaires locales. L’élaboration de nouvelles techniques permet de faire apprécier plus sûrement le produit. C’est le cas sur le site d’Alsace qui propose un conditionnement original de la choucroute. ‘«’ ‘ Avant, on amenait la choucroute, les charcuteries… C’était très lourd à gérer. Fallait expliquer à chaque personne comment cuire la choucroute. On avait fait des recettes, c’était pas évident… Alors on a trouvé ce système sous vide. Non seulement elle est bien, mais elle est excellente, parce qu’on a vraiment élaboré une recette familiale ».’

Sur le stand du site de l’Alsace, présenté par quatre offices de tourisme, on nous fait remarquer que la dégustation n’est pas toujours accompagnée d’informations : ‘«’ ‘ On a eu beaucoup de monde. Il faut être honnête. On peut pas dire qu’ils posent des questions. Ils goûtent. On a beaucoup de monde, on a neuf vins, on peut pas toujours expliquer. Ce qu’il faut, c’est les faire goûter. Les gens ont beaucoup de goût, maintenant’ ». Les représentants des sites de Salers (fromage) et de Saint-Christophe-en-Brionnais (viande de bœuf) ont remarqué qu’on ne leur posait pas les mêmes questions d’un salon à l’autre, selon le lieu où il se trouve. On remarquera que cela dépend en effet du type de culture locale. L’éleveur de Saint-Christophe-en-Brionnais affirme ainsi donner plus d’informations aux gens de Billom ‘«’ ‘ car on n’est pas dans une zone d’élevage, là’ ». Les clients posent ainsi beaucoup de questions sur les techniques et les conditions d’élevage. A l’inverse, le site de Salers s’était rendu dans une zone de même tradition de culture : le fromage de Beaufort. Les questions sur les techniques d’élaboration du fromage furent très nombreuses et très savantes montrant qu’ils en maîtrisaient la technique en la comparant à la leur. Sur le Salon de Beaufort, une animation avait également été organisée autour de la dégustation de viande bovine sous la forme d’un concours amical entre la viande charolaise et la viande salers.

Notes
359.

On comprend sucre de bouche acheté dans les magasins et sucre incorporé aux produits alimentaires sucrés.