VII - De la représentation du goût à la valorisation des territoires : harmoniser la rencontre entre développements touristique et local

Le lien entre fête, foire, marché et label S.R.G. se fait à double sens. Tout d’abord les fêtes, les foires, et les marchés sont désignés pour être S.R.G. ensuite ils apportent leurs qualités pour enrichir ce label. En effet, le label S.R.G. donne de la valeur aux places marchandes et en même temps celles-ci apportent de la valeur au label. C’est le contenu du label, c’est-à-dire la qualité des sites qui en fait la qualité.

Observons le lien dans le sens de la désignation. Les fêtes, les foires et les marchés sont désignés pour illustrer une idée du goût. Ils représentent une image de la gastronomie française. Ils sont en quelque sorte des ‘«’ ‘ conservateurs’ » (au sens muséographique) du goût : ils conservent, exposent, transmettent et médiatisent un goût et des valeurs qui lui sont associées. Tels que les fêtes, les foires et les marchés sont perçus par les chalands, ce sont des lieux où l’on trouve encore des bons produits, au goût typé, par opposition au goût aseptisé et homogène des produits industriels de la grande distribution. C’est pourquoi les places marchandes participent à une démarche de protection et de transmission du goût dans laquelle s’inscrivent les S.R.G. de par leur appellation et les missions de la structure qui les a fait naître. Démonstration et apprentissage du goût servent autant à préserver des particularités locales qu’à conserver des différences face à une homogénéisation. D’un côté, on encourage les sites à valoriser leur production locale par des chartes signées avec des producteurs et des restaurateurs. A Salers, la charte imposera de ne présenter que de la viande de race Salers alors que dans les pratiques d’élevage elle est souvent croisée avec la race Charolaise. On revalorise les productions ‘«’ ‘ traditionnelles’ » avant leur transformation, afin de proposer un produit emblématique du lieu. En effet, la sélection des S.R.G. repose pour beaucoup sur la valeur emblématique, la notoriété du produit auprès du public et non sur la réalité des pratiques locales. A Sarlat par exemple, le foie gras n’est pas consommé par tous tous les jours, mais il identifie à la fois la gastronomie du sud ouest et la haute gastronomie française. D’un autre côté, la découverte de chaque production locale permet d’appréhender la diversité ; on apprend à découvrir de nouveaux goûts, de nouvelles pratiques culinaires. C’est ainsi que sont ciblés le jeune public, les nouvelles générations, celles qui véhiculeront et transmettront à leur tour des goûts et des pratiques. Devant la menace de la perte de leur goût par des penchants pour les fast-food, les classes du goût se développent. A Billom le salon S.R.G. fut l’occasion pour les classes de primaire, durant toute la semaine précédente, de faire des cours de ‘«’ ‘ géo-saveur’ » 361 au cours desquels régions et produits étaient présentés. Le jour du salon les cours furent complétés par des dégustations et par les explications qu’apportèrent les exposants.

Néanmoins, les fêtes, les foires et les marchés ont été choisis pour compléter une liste trop courte. Aussi, dès leur sélection, les sites-marchés ont été enjoints à proposer un accueil permanent qui mettrait en valeur le produit. Les fonctions de démonstration et de transmission des goûts réalisées par les places marchandes n’ont pas été exploitées à ce titre, même si leurs visites commentées ont été encouragées. Pourtant on observe que la première grande action nationale des S.R.G. est l’organisation de salons qui reprennent ces notions mais sous une forme différente. Nous avons vu en effet que le rapport au lieu, à une communauté locale, n’est pas le même sur un salon que sur une fête, une foire ou un marché. De plus, la fonction de découverte-apprentissage tend à prendre un caractère officiel et institutionnel puisque de plus en plus interviennent des ‘«’ ‘ animateurs’ » du goût spécialement formés.

Dans le sens de la ‘«’ ‘ réception’ », le label S.R.G. a été saisi par des sites qui ont la volonté préexistante de choisir leur devenir et celui de leur place marchande. Le label est seulement apposé. Seuls les sites qui ont un manque ou un besoin à pallier l’ont adopté pour qu’il les aide à modifier une situation plus ou moins contraignante. Le label S.R.G. est alors compris comme un outil de valorisation de leurs projets. Il permet d’apporter une image de marque pour mieux communiquer ; il fait porter l’attention sur un objet. Mais il peut aussi encourager les actions. Les salons vont permettre à des producteurs de trouver de nouvelles clientèles et, accompagnés de représentants d’offices de tourisme, ou d’associations, ils se font ambassadeurs des régions. Localement, ils favorisent la mise en valeur des ressources, mises en scène ou en discours. Le label est approprié différemment selon le site, ses attentes, ses moyens et les acteurs concernés. Sur le thème du goût, des liens se créent entre sites ou entre acteurs d’une même filière comme à Saulieu ou à Salers, entre restaurateurs, éleveurs et bouchers, par l’intermédiaire d’une association qui organise et met en valeur ce réseau. Des projets de grande ampleur sont en réflexion, comme l’idée d’un festival du goût à Louhans, qui fait le lien entre action culturelle et développement local. A différentes échelles et à différents degrés le label S.R.G. accompagne et encourage la volonté de développements local et touristique qui pré-existait. Il la révèle, permet aujourd’hui de la faire se réaliser en mettant à disposition expertise, conseil et soutien de la part des autorités ministérielles.

L’approche choisie par les sites, en se saisissant du label S.R.G., est la mise en valeur touristique. Elle participe néanmoins au développement local, en proposant de nouveaux aménagements, un certain confort de vie et surtout, en favorisant les retombées économiques. C.O. du Cluzeau observe toutefois ‘«’ ‘ réserver un patrimoine aux résidents locaux et l’ouvrir au tourisme sont deux démarches radicalement différentes.’ ‘ 362 ’ ‘ »’ En effet, la mise en valeur du site, sa mise en lumière ne s’effectuera pas selon les mêmes processus ou les mêmes supports. Aujourd’hui, on craint moins de rapprocher patrimoine et tourisme que lorsque le tourisme de masse s’est développé sur le littoral et à la montagne. P. Béghain observe que ‘«’ ‘ dans bien des villes moyennes ou en zone rurale, le développement du tourisme culturel a été non seulement un facteur de renouveau économique, mais aussi de confiance retrouvée en l’avenir’. 363  » Par ailleurs H. Michaud observe :

‘« Il est clair que l’attractivité touristique d’un pays, d’une région ou d’un site influe puissamment sur l’implantation d’activités tertiaires déliées des contraintes traditionnelles de localisation des industries de transformation. Le fait d’offrir aux cadres et aux employés des conditions de vie agrémentées par des ressources touristiques naturelles, sportives ou culturelles devient pour bien des entreprises un facteur de persuasion parfois déterminant. 364  »’

La mise en valeur touristique du patrimoine peut ainsi parfaitement s’intégrer dans les volontés de revalorisation des zones rurales et dans les projets d’aménagement du territoire. Elle permet de redonner une animation, de recomposer une dynamique sociale et collective, d’assurer un lien avec des identités et des spécificités locales. Néanmoins, les populations locales doivent être partie prenante de ces démarches, s’y reconnaître. ‘«’ ‘ Tout travail sur le patrimoine contribue à la stabilité sociale, à l’émergence d’une image externe – mais renvoyée aux autochtones – assise sur le prestige, la réidentification et la fierté civique’. 365  » Certains mettent en garde contre des mises en valeur ‘«’ ‘ culturellement incorrectes’ ».

‘« Le tourisme culturel en tant que recherche d’authentiques créations inspirées par l’art traditionnel se dégrade alors en une consommation de formes standardisées d’objets et de spectacles artificiels que S.Picard appelle la "culture touristique" (…) qui peut apporter des perturbations redoutables dans l’identité des pays d’accueil. 366  »’

Si l’on sait éviter les risques de gadgétisation, le tourisme peut être ressource pour des territoires peu valorisés. Dans le cas des S.R.G., ce sont les ressources locales qui sont valorisées : produits de terroir, fêtes, foires et marchés. Elles sont inscrites dans les pratiques, les mémoires, l’histoire locale. Les producteurs et les commerçants locaux s’emparent aussi des projets pour mettre en valeur des produits et des activités économiques. La rencontre entre tourisme et patrimoine et plus largement culture locale peut se faire en douceur, de manière harmonieuse sous certaines conditions. On peut observer que, si cette rencontre est demandée et qu’elle est prise en charge par les acteurs locaux, elle peut se réaliser dans de bonnes conditions. Lorsqu’elle est imposée, elle doit être comprise par les ‘«’ ‘ locaux’ » qui doivent y voir leur intérêt pour l’accepter. Dans certains cas, le label S.R.G., perçu comme imposé ‘«’ ‘ d’en haut’ », n’est pas approprié, sans être totalement rejeté (Espelette). Ailleurs, le label S.R.G. doit être interprété afin d’être compris comme répondant à des attentes locales. Les sciences sociales ont souvent été amenées à souligner les effets pervers que peut apporter le tourisme, les répercussions qu’il a dans la construction de ‘«’ ‘ faux’ », de productions de masse vidées de leur sens… Néanmoins, l’ouverture des territoires au tourisme, l’expansion de la demande du local, de l’autre proche (favorisé par la réduction du temps de travail) n’est pas à négliger, d’autant qu’elle procure une ressource essentielle pour nombre de communes rurales. Si le tourisme ne peut être la seule solution pour revaloriser des territoires et des productions, c’est un paramètre qui doit être mieux saisi par les sciences humaines. La présentation d’un soi, la découverte d’un autre et la constitution d’un discours propre à leur échange sont des notions mobilisées par cette thématique, qui peuvent être étudiées dans les processus de valorisation d’un territoire ou de production locale, de définition d’une identité et du lien social. On ne peut échapper à la mise en valeur touristique du patrimoine, comprise comme atout du développement économique. Pour qu’elle fonctionne dans un développement local, et soit appropriée par les populations, le chercheur, l’ethnologue peut être amené à s’investir. Les routes à thèmes ou les itinéraires culturels à caractère ethnologique, qui ont fait l’objet de rencontres en 1988, sont des exemples qui montrent l’adaptation du tourisme aux exigences du local.

‘« Participer à la connaissance, la conservation et la valorisation du patrimoine ethnologique et de l’ensemble des richesses d’un pays en même temps que concevoir de nouveaux produits touristiques, tels devraient être les deux objectifs indissociables de tout projet d’itinéraire culturel à caractère ethnologique. 367  »’
Notes
361.

Selon l’expression de J.J., organisateur du salon.

362.

C.Origet du Cluzeau, Le tourisme culturel, op.cit., p.60.

363.

P.Béghain : Le patrimoine : culture et lien social, 1998,p. 39.

364.

J.-L.Michaud : « De l’économie de cueillette à l’industrie du futur » in J.-L.Michaud (dir), Tourisme, chance pour l’économie, risques pour les sociétés ?, 1992, p. 69.

365.

C.Origet du Cluzeau : Le tourisme culturel, op.cit., pp.76-77.

366.

J.Dumazedier : « Des grandes migrations passées au tourisme de masse » in J.-L.Michaud (dir), op.cit., p.46.

367.

P.Notteghem, C.Rouot : « Des itinéraires pour valoriser le patrimoine ethnologique », in D.Cerclet, J.-L.Gachet (dir), Patrimoine ethnologique et tourisme. A propos des circuits culturels, 1988, p.11.