L'expérience non-directive et ses insuffisances

La pédagogie non-directive est action de personnalisation, de développement de la capacité d'initiative et de la responsabilité. Apprendre, c'est apprendre à se diriger soi-même et à se passer de direction. Le pédagogue, par une présence facilitante, a pour rôle de renforcer la personnalisation en permettant le surgissement des ressources personnelles. L'attitude non-directive exige la remise en question perpétuelle du soi-enseignant, repose sur le respect, la prise en compte de chaque élève dans ses moindres attitudes et réflexions, et doit permettre à la classe, devenue groupe, de s'auto-gérer. Cependant, ‘«’ ‘ Même corrigé, atténué ou amplifié, le concept de méthode non-directive ne peut être blanchi des critiques qu'on lui a opposées ’ ‘«’ ‘’ 6 .

Pour quelques heures par semaine, car la généralisation de la non-directivité est impossible, la déstabilisation des élèves présente le risque de les démobiliser plus que de les stimuler ; ‘«’ ‘ une procédure directive, explicitant le pourquoi de ce choix et refusant de raconter des histoires, sera plus conforme en définitive, à une attitude non-directive chez le formateur, car, entre deux aliénations qu'il lui faut imposer au groupe, le formateur, en l'occurrence, choisit la moindre ’« 7 .

La non-directivité tend à cultiver le vécu au détriment des contenus. Sous couvert d'autonomie, elle peut maintenir une dépendance en gênant l'accès aux outils conceptuels. Ce n'est pas pour autant que la pédagogie traditionnelle serait plus adaptée, car elle maintient aussi la dépendance et la passivité.

Il y a erreur à penser la classe comme un îlot de relations, séparé du contexte social et politique. La prise en compte du vécu relationnel au détriment de la dimension sociale et politique conduit à favoriser les favorisés et, donc, à conforter l'inégalité. Dès lors le problème essentiel concerne, non plus la liberté d'apprendre, mais l'apprentissage lui-même, l'assimilation des contenus ; les négliger, c'est maintenir la dépendance sous couvert d'autonomie. A la métaphore horticole (l'être humain, comme la plante, porte en lui les ressources de son propre développement) se substitue la métaphore militaire, armer les enfants des écoles, en leur donnant les moyens de mener leur propre combat contre l'oppression.

La non-directivité n'abolit pas le pouvoir de l'enseignant. Il y a toujours une tutelle, celle de celui qui sait ce qui est bien pour l'autre.

‘«’ ‘ On n'apprend pas les choses aux gens, ce sont toujours eux qui les apprennent ’ ‘«’ 8 . Ce principe d'auto-formation est contestable. Il peut venir conforter, par sa conception biologisante, l'idéologie du don. Considérer que la personne possède en elle les ressources de son propre développement, qu'elle peut apprendre spontanément, sans intervention, est pure illusion. ‘«’ ‘ Ce que nous entendons avec acuité dans l'alerte que sonne Snyders, c'est que ce qui est ’ ‘«’ ‘ vrai ’ ‘«’ ‘... n'est jamais acquis spontanément ’« 9 . L'apprentissage n'est pas réaction au sens béhavioriste du terme, réponse comportementale à une stimulation, mais intégration subjective. La personnalisation est autant d'ordre exogène qu'endogène. Plutôt que la non-directivité et ses dérives, il est préférable de s'attacher à une pédagogie du potentiel personnel, de rechercher une certaine indifférence affective, en se centrant sur la didactique plus que sur le vécu relationnel, pour proposer à chacun l'aide dont il a besoin et le guider de façon appropriée dans ses apprentissages.

«‘ Prétendre abolir l'autorité pédagogique, en tant que pouvoir d'imposer, pour lui substituer une croissance ’ ‘«’ ‘culturellement libre’ ‘»’ ‘, est une illusion dont la fonction réelle est de renforcer ce pouvoir d'imposition sous couvert de ’ ‘«’ ‘manière douce ’ ‘«’ 10 . Mais la pédagogie non-directive demeure valable pour éviter de tomber dans l'excès inverse : le tout diriger, le tout programmer. La non-directivité n'est pas exclue, seulement relativisée. Il faudrait tenter de concilier une fonction de direction (objectivation et rationalisation : fixer des objectifs, des moyens, évaluer les résultats) et l'attitude non-directive (accueillir l'imprévu, être attentif au sujet apprenant), face négative de la fonction de direction qui vient la pondérer et éviter sa dérive autoritaire.

Notes
6.

Daniel Hameline et Marie-Joëlle Dardelin, La liberté d'apprendre - Situation II, op. cit., p. 266.

7.

Ibid., p. 267.

8.

Daniel Hameline et Marie-Joëlle Dardelin, La liberté d'apprendre - Situation II, op. cit., p. 236.

9.

Ibid., p. 319.

10.

Ibid., p. 308.