Mise à l'épreuve des objectifs

La pédagogie par les objectifs se veut technique efficace avec la formulation des objectifs comme moyen. L'évaluation permet de mesurer les écarts entre les objectifs et leur réalisation. L'objectif pose une extériorité, l'essentiel se situant dans ce que l'élève sera capable de faire au terme du processus. Ce résultat à atteindre s'exprime en termes de comportements observables que l'on peut mesurer. Une intention pédagogique mérite l'appellation d'objectif lorsqu'elle est opérationnelle, c'est-à-dire qu'elle répond à quatre exigences, exigences qui n'ont que l'apparence de la simplicité.

Un objectif doit être énoncé de la manière la moins équivoque possible, laissant le moins de place possible pour une interprétation subjective. La proposition est univoque si la description qu'en imaginent plusieurs personnes est sans divergence. Elle est opérationnelle parce qu'elle comporte l'indication immédiate de sa mise en pratique, qu'elle engendre directement l'action à partir de consignes les plus explicites possibles. Or, cette exigence d'univocité est d'autant plus facile à respecter que l'on s'éloigne des problèmes éducatifs fondamentaux et que l'on se rapproche de l'action à faire, ce qui ne va pas sans soulever d'autres problèmes. Si on énumère des objectifs spécifiques, le point de vue global fait alors défaut ; ce point de vue est pourtant indispensable pour donner à l'élève les raisons de poursuivre l'objectif. Le risque est de perdre le point de vue essentiel pour ne plus disposer que d'une liste de gestes standardisés et insignifiants à faire acquérir. On aboutit alors à une programmation à fonction désintégratrice pour le sujet. Maintenir ou donner une fonction intégratrice à l'entrée dans la pédagogie par les objectifs nécessite de dépasser la simple formulation d'objectifs spécifiques et de l'intégrer dans une chaîne plus vaste à parcourir dans les deux sens : finalités (principes, intention prioritaire, orientation générale) - buts (finalités opératoires, résultats recherchés sans être sûr de les atteindre, orientation générale d'un programme déterminé) objectif général (exprimé en termes de capacités de l'apprenant et non en termes de contenus) objectifs spécifiques ou opérationnels (démultiplication de l'objectif général, d'une capacité en compétences qui seront visées une à une dans une situation concrète). L'essentiel de l'apprentissage ne se situe pas au niveau des comportements, mais au niveau des capacités qui sont à rechercher pour elles-mêmes et à long terme.

Un objectif doit décrire l'activité de l'apprenant, ce qui oblige à se centrer sur ses productions. Mais le risque de l'opérationalisation en terme de comportement observable est l'approche fragmentaire de l'apprentissage. Si on veut comprendre ce comportement, on ne peut exclure l'aspect mental. L'opérationalisation est l'application de la règle béhavioriste, stimulus-réponse, excluant toute initiative du sujet. Si on veut lui redonner une certaine intégrité, il est nécessaire de se centrer sur les capacités (activités mentales) qui sont le véritable produit d'une formation. Seulement, la capacité n'est pas directement évaluable ; la vérification de son acquisition n'est possible qu'à travers une activité observable. Il faut donc lier comportements et capacités. La jonction entre les deux s'exprime en termes de compétences (savoir-faire). Se centrer sur le comportement suppose que l'on puisse évacuer les autres dimensions du sujet ; or, un comportement n'est jamais isolable d'un ensemble d'indices variables qui l'accompagnent (postures, mimiques... ). Cet ensemble indices-comportement est perçu globalement par l'enseignant et laisse place à des divergences d'interprétation. Parler de comportement observable, c'est inévitablement accorder de l'importance à l'observateur.

Un objectif doit mentionner les conditions dans lesquelles le comportement doit se manifester. Cette troisième exigence repose sur une illusion de maîtrise dont il faut se départir. La seule interrogation sur le court terme comporte le risque de renforcer cette illusion ; il est donc nécessaire de toujours s'interroger sur le moyen et le long terme.

Un objectif doit indiquer le niveau d'exigence attendu et les critères d'évaluation. Cette quatrième exigence pose le problème de l'évaluation qui comporte bien des équivoques. De quelle évaluation parle-t-on ? normative, formative, critériée... ? Quand peut-on dire qu'un objectif est atteint ou non ? à court, moyen ou long terme ? Les objectifs alors évalués comporteront des dominantes différentes : dominante de maîtrise (en général, c'est le cas), dominante de transfert ou dominante d'expression.

Chaque exigence n'a en fait que l'apparence de la simplicité. Dans cet organisé, qui paraît verrouillé, existe du jeu dont il importe de tirer parti pour ne pas sombrer dans la programmation et le conditionnement. Si l'on veut clarifier, optimiser la relation pédagogique, il est nécessaire de prendre conscience qu'un objectif ne circule jamais seul. Se contenter de définir des objectifs, c'est masquer d'autres intentions. S'il faut se méfier de l'illusion de la transparence, il n'en faut pas moins chercher à clarifier et objectiver au maximum ses intentions.