D. Hameline pose cinq critiques fondamentales à la pédagogie par les objectifs 11 .
Première critique : une entrée « étroite « par les objectifs peut rétrécir les apprentissages à une adaptation utilitaire des apprenants aux tâches qui leur sont assignées. La difficulté de toute tâche réside dans sa compréhension. Se limiter à lister des comportements, déterminer les moyens et les méthodes puis évaluer, amène, si l'on n'y prend garde, le sujet à suivre un parcours tracé et à se conformer aux règles imposées de l'extérieur. Utiliser les objectifs pour l'apprentissage de savoir-faire, sans développer la capacité de comprendre, de se situer et de critiquer ces savoir-faire, serait politiquement significatif. On peut apprendre bien des gestes pratiques, comme remplir un chèque par exemple ou un formulaire, mais s'y limiter, sans permettre de s'interroger sur l'organisation économique et sociale, c'est viser l'adaptation en évacuant toute possibilité de critique.
Deuxième critique : une entrée « étroite « par les objectifs peut négliger l'action au profit des comportements. La formation ne peut se limiter à l'acquisition d'une liste de comportements ; elle est avant tout développement de capacités de transfert. Les partisans de la formulation d'objectifs comportementaux confondent action et comportement, comprendre et se comporter. Or, ‘«’ ‘ apprendre c'est agir et non d'abord se comporter ’ ‘«’. L'action est d'abord intention et analyse. L'essentiel est justement ce que l'on ne peut observer.
Troisième critique : Un rétrécissement de l'horizon au court terme. Exclusion du long terme. La pédagogie par les objectifs, limitée à la formulation d'objectifs comportementaux, exclut le long terme ; elle peut, à moyen terme, convenir pour des formations professionnelles, mais seulement jusqu'à un certain seuil, la pratique professionnelle sur le terrain nécessitant un transfert des acquisitions. Elle ne convient que pour le court terme, car la dominante de maîtrise l'emporte sur les autres. Se pose alors la question de savoir si ce type de pédagogie n'est pas seulement un outil plus performant de contrôle des connaissances. Resterait encore à prouver que la connaissance des objectifs est bénéfique pour les apprenants.
Quatrième critique : L'entrée par les objectifs repose souvent sur une conception naïve de la transparence dans les rapports humains. La pédagogie par les objectifs permet de lever certains malentendus, mais pas le malentendu fondamental d'ordre inconscient qui concerne le désir d'enseigner et le désir d'apprendre. C'est ce discours inconscient qui institue l'apprentissage, et il n'est donc pas opportun de clarifier tous les objectifs de l'apprentissage.
Cinquième critique : «‘ Seigneur, j'ai tout prévu pour une mort si juste. ’ «
Une rationalisation excessive conduit à l'échec. Farnes, en 1974, l'a bien montré à partir d'une étude sur l'Open University de Grande Bretagne (laboratoire de formulation des objectifs pédagogiques créé en 1969). L'initiative des étudiants est pratiquement nulle ; les échanges sont très réduits car non prévus ; l'apprentissage est très individualisé mais, paradoxalement, de façon standardisée ; les vrais moments d'apprentissage concernent les formateurs et non les apprenants ; des comportements négatifs sont induits :« indifférence, exécution machinale, préoccupation exclusive du diplôme, repli sur le minimum imposé, abandon, hostilité « 12 .
Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, Paris, Editions ESF éditeur, dixième édition, 1992, p. 178 à 185.
Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, dixième édition, op. cit., p. 185.