Les objectifs pédagogiques, une bonne farce ?

Il semble bien difficile, de premier abord, de voir dans L'éducation, ses images et son propos,un prolongement des objectifs pédagogiques, l'un se souciant de rhétorique, l'autre de technique. «‘ Parler d'objectifs pédagogiques, c'est être piégé, piégeant, sauf à tenter d'y prendre garde ’ ‘«’ ‘’ 16 . C'est dans cette mise en garde que se trouve le lien entre les deux ouvrages. Les objectifs pédagogiques sont des instruments de la pensée mais, paradoxalement, ces mots nous touchent alors que toute démarche scientifique s'efforce d'évacuer cette dimension subjective. D. Hameline nous invite à nous pencher à nouveau sur les objectifs pédagogiques.

Cette expression appartient au langage fonctionnel dont on pourrait penser, tant on s'efforce de la définir avec précision, qu'elle est claire et univoque. Or, comme tout propos sur l'éducation, elle déploie une rhétorique : c'est un baladeur d'images 17 , ainsi déjà surnommé dans Les objectifs pédagogiques. Si, par convention nécessaire à son propos, D. Hameline en avait alors restreint le sens, il y revient, rappelant le rôle de l'imaginaire dans toute pensée sur l'éducation. Un mot, pour servir d'instrument de la pensée et de l'action 18 , ne peut être utilisé à tort et à travers. Il lui faut une restriction de sens, même si elle est purement arbitraire et conventionnelle. Tel fut le choix de Daniel Hameline dans Les objectifs pédagogiques en formation initiale et continue, choix qu'il justifia en cohérence avec une démarche qui se voulait efficace.

Cependant, les objectifs pédagogiques véhiculent une multitude de significations, de sorte que l'expression ne peut jamais être univoque et qu'une définition, aussi précise soit-elle, ne peut être universelle. Un propos sur l'éducation, quel qu'il soit, est toujours déplacé 19 ,substitué par un autre ou d'autres, issus d'associations d'idées qui chacune vers elle attire le sens. Cette substitution peut être utile en permettant de ne pas tout dire. Elle peut aussi dépasser la limite au-delà de laquelle survient l'inexactitude. Or justement, il convient d'instrumenter la pensée, d'être scientiste ou béhavioriste mais juste assez 20 , pour ne pas se laisser piéger et emporter par le souci de rigueur et d'efficacité technique.La démesure conduit à l'insanité, à l'action insensée, car son acteur n'est plus en mesure d'en rendre compte. La pédagogie par les objectifs peut être une forme de cette démesure, mais elle peut aussi être le lieu de la rencontre entre l'intelligence et l'action. «‘ Si telle n'était pas ma conviction, j'aurais demandé qu'on arrête la publication de ce livre comme on met fin à une mauvaise action.Peut-être serait-il effectivement une mauvaise action, s'il avait été rédigé avec un grand esprit de sérieux. Mais ce ne fut pas le cas. C'est pour moi une leçon que je ne suis pas prêt d'oublier, de constater que ce qui marche c'est, en somme, ce que l'on a fait sans trop y attacher d'importance et surtout sans se croire important parce qu'on l'a fait. Je n'irai pas jusqu’à dire de ce livre qu'il est une bonne farce qui a marché. Et pourtant... ’ ‘«’ ‘’ ‘ 21.

Notes
16.

Ibid., p. 24.

17.

Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, dixième édition, op. cit., p. 42.

18.

Ibid., p. 51.

19.

Daniel Hameline, L'éducation, ses images et son propos, op. cit., p. 104.

20.

Ibid., p. 23.

21.

Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, dixième édition, op. cit., p. 197-198.