Première expérimentation. De la pédagogie de soutien aux groupes de niveaux à pédagogie différenciée

Les C. E. S., créés en 1963, constituent la deuxième partie de l'éducation obligatoire ; ils visent à développer l'égalité des chances devant les études. Le problème de la diversité des élèves y est résolu par leur répartition dans trois filières avec enseignants et pédagogies spécifiques. Cependant, se pose le problème de la répartition en filière I ou filière II, les critères n'étant pas clairement définis, et celui de la filière III qui ne réussit pas sa mission de réintégration tout en présentant la caractéristique générale de regrouper les enfants de milieux sociaux défavorisés. Aussi l'expérimentation se fixe-t-elle deux objectifs ‘«’ ‘ rationaliser le placement des élèves dans les sections ; définir une pédagogie M2, à mi-chemin de la pédagogie lycée et de la pédagogie de transition, capable de jouer le rôle de réorientation que le législateur avait fixé à ces sections ’ ‘«’ ‘’ 36 . Cette pédagogie, applicable à tous, appelée pédagogie de soutien, va consister à remplacer l'idée de pédagogies spécifiques pour des filières séparées par celle de pédagogies spécifiques pour des matières différentes. Elle conserve pour les matières fondamentales (français, mathématiques et langues vivantes) le programme et la pédagogie du secondaire, accompagnés de dédoublements et d'horaires d'études dirigées. Les autres matières (histoire, géographie, sciences...), sans programme particulier, relèvent de la pédagogie de transition. Quant à l'éducation physique, ses horaires sont accrus.

Cette organisation demeure cependant insatisfaisante. Elle ne résout pas les deux problèmes qui sont ‘«’ ‘ l'impossibilité de constituer rationnellement des sections de force décroissante, la conscience prise du caractère socialement ségrégatif de ce sectionnement ’ ‘«’ ‘’ 37 . Il s'avère impossible de définir rigoureusement trois profils d'élèves ; la répartition en filières ne pouvant se justifier, c'est vers leur suppression qu'il faut évoluer. Ce constat conduit les expérimentateurs à mettre en place un tronc commun pour tous et à instaurer des groupes de niveaux à pédagogie différenciée. Le groupe de base est le groupe hétérogène ou groupe d'ancrage. Pour les matières fondamentales, et sur la moitié de l'horaire environ, ce groupe est fragmenté en groupes homogènes de force décroissante devant permettre, par une pédagogie différenciée selon les groupes (soutien pour les uns, approfondissement pour les autres), l'acquisition par tous d'un programme-noyau commun. ‘«’ ‘ L'essentiel devait être la différenciation de la pédagogie qui, traitant d'un même programme, devait adapter l'enseignement aux diverses catégories d'élèves ainsi regroupés ’ ‘«’ ‘’ ‘ 38 ’ ‘. ’

Cette nouvelle organisation demeure aussi insatisfaisante, car elle ne règle pas le problème des critères de groupements et reste trop rigide. Elle ne permet pas de prendre en compte la grande diversité des profils individuels ni de relativiser horaires et programmes, les expérimentateurs ayant tenu pour impératif l'acquisition d'un programme commun pour tous. Or, ‘«’ ‘ le parti pris initialement de faire évoluer tout le monde au même rythme n'a pu être tenu ’ ‘«’ ‘’ ‘ 39 ’ ‘ e’t parfois un rythme d'acquisition spécifique a du être organisé. ‘«’ ‘ La démocratisation ’ ‘«’ ‘ stricto sensu ’ ‘«’ ‘ a dû céder devant les faits ’ ‘«’ ‘’ ‘ 40 ’ ‘.’

Les différences individuelles ne permettent pas une progression unique, mais on ne peut accepter des groupements institutionnalisés socialement ségrégatifs. La solution, permettant de s'acheminer vers un tronc commun, se trouve dans la constitution de groupes occasionnels, en fonction des activités et des besoins, pour tel élève, à tel moment, sur tel point particulier. Les expérimentateurs ont alors fait évoluer le système vers le team teaching. C'est un ensemble d'élèves qui sera pris en charge par un ensemble de professeurs. Leur répartition en groupes hétérogènes ou homogènes se fera selon des objectifs précis et les besoins du moment. Une partie de l'horaire des matières fondamentales est désormais organisée en classe hétérogène. Le soutien ne sera pas réservé aux groupes faibles mais adapté en fonction des élèves, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, et sera non plus seulement disciplinaire mais interdisciplinaire. Une telle organisation ne peut être définie de façon réglementaire ; exigeant souplesse et adaptation aux besoins, elle ne peut relever que de décisions locales rationnelles, sur la base de l'analyse préalable des objectifs pédagogiques et de l'évaluation formative. Ainsi s'ouvre la voie de la pédagogie différenciée comme moyen de maintenir dans un système unifié les mêmes objectifs pour tous au terme du cursus.

La suppression des filières prend effet en 1975 avec la création du collège unique. Tous les élèves entrent désormais en sixième et y sont répartis en groupes hétérogènes. Afin de respecter leur diversité sont proposées des options, des activités de soutien pour les uns, d'approfondissement pour les autres. Mais, sur le terrain, la tendance est à la reconstitution de classes homogènes et à la disparition du soutien. Ces dysfonctionnements sont à l'origine de la seconde expérimentation.

Notes
36.

Louis Legrand, La première expérimentation : 1967-1975 in Pour un collège démocratique. Rapport au ministre de l'éducation nationale, Paris, La documentation française, 1983, p. 283.

37.

Louis Legrand, Pour un collège démocratique. Rapport au ministre de l'éducation nationale, op. cit., p. 284.

38.

Ibid., p. 285.

39.

Ibid., p. 286.

40.

Ibid.