Deuxième expérimentation. Projet éducatif et projet politique

Avoir cru aux réformes, c'est avoir négligé le fait que transformation scolaire et transformation sociale sont liées.‘»’ ‘ Nombreux furent ceux qui crurent aux réformes... Ceux-là, dont nous fûmes, avaient également oublié que le système éducatif n'est pas indépendant de la société ’ ‘«’ ‘’ ‘ 41 ’ ‘.’ On ne peut espérer une amélioration de la démocratisation tant que perdurent les inégalités sociales et que l'école sert d'instrument de sélection sociale. La marche vers une société démocratique, plus égalitaire, suppose la remise en cause de l'école, de son rôle de sélection basé sur la prévalence intellectuelle. L'école doit s'attacher à la formation intellectuelle de tous, sans pour autant s'y limiter. Elle a un rôle éducatif global, doit s'attacher au développement de toutes les potentialités y compris physiques, artistiques, manuelles et sociales, et viser le développement des capacités d'autonomie, de responsabilité, de socialisation.

L'accès au savoir dépend de l'école mais aussi, et surtout, des facteurs sociaux et environnementaux. Il convient donc de penser l'école autrement, comme lieu de vie capable de compenser les manques du milieu extérieur. Réhabiliter toutes les aptitudes suppose aussi la remise en cause de la sélection et de la stratification sociale. Il est illusoire de penser que l'école seule puisse réaliser cette transformation globale. On pourrait alors penser qu'un changement politique apporterait la solution, mais il n'en est rien. En effet, toute transformation globale nécessite un certain consensus sur les valeurs, ce qui n'est pas le cas. Il serait donc aussi illusoire d'attendre le changement d'un nouveau gouvernement ou d'une démarche impositive. Le véritable changement s'organise au niveau local, à condition que soient créées les conditions politiques d'une véritable démocratie locale. Le rôle d'une politique nationale est d'impulser et non d'imposer. Aussi convient-il de favoriser une certaine autonomie locale qui permettrait des débats au niveau où les problèmes se posent. De ces débats surgirait une diversité de solutions, diversité indispensable et seule à même de répondre à la diversité des problèmes locaux. Cependant, un tel modèle de démocratie locale nécessite aussi un choix national ‘«’ ‘ préalable ou simultané ’ ‘«’ ‘’ ‘ 42 ’ ‘’de société. Les transformations souhaitées supposent donc des changements tant au niveau politique qu'au niveau local et au niveau de chaque enseignant.

La seconde expérimentation se fixe pour objectif de faire acquérir à tous les élèves le maximum de connaissances afin de favoriser l'insertion sociale et la démocratisation tout en privilégiant l'épanouissement, la socialisation et le développement de l'autonomie. Elle pose les grandes orientations de la pédagogie différenciée, moyen devant permettre à chacun d'atteindre les objectifs communs au sein d'un système scolaire unifié. S'adapter à la diversité des élèves, aux différences de connaissances, de compétences, de performances, impose d'individualiser au maximum et de différencier la pédagogie ‘«’ ‘ par les méthodes, les procédures institutionnelles et les techniques, et, au besoin, par les contenus, traduits en termes d'objectifs comportementaux ’ ‘«’ ‘’ ‘ 43 ’ ‘.’

Les élèves en difficulté devront être soutenus par l'organisation de groupements homogènes temporaires. Les activités seront rééquilibrées. La socialisation sera développée par le travail en équipe et par l'ouverture de l'école sur l'extérieur. Le développement de l'autonomie repose sur l'engagement de chacun dans différentes tâches et le choix de leur organisation. Il sera donc nécessaire d'établir un équilibre entre les activités d'apprentissage et les activités d'enseignement. Permettre un véritable apprentissage suppose aussi d'organiser les activités autour des intérêts des élèves (activités thématiques interdisciplinaires, travail autonome et personnalisé : projets, contrats, plans de travail avec l'aide des professeurs-tuteurs).

L'enseignement reposera sur le team teaching ou travail en équipes au sein d'un ensemble hétérogène de 72 à 96 élèves, chaque enseignant devant répondre à des activités d'enseignement, de concertation et de tutorat, c'est-à-dire guider les élèves en matière d'instruction, d'éducation et d'information. L'emploi du temps comprendra des groupements à pédagogie différenciée pour l'enseignement disciplinaire, des groupements pour des activités de développement de l'autonomie, des groupements pour les activités de soutien qui s'adressent à n'importe quel élève en difficulté à tel ou tel moment. L'enseignement sera donné par modules de 24 élèves, répartis sur les paliers de sixième et cinquième, chaque module étant pris en charge par une équipe de professeurs qui décide de l'organisation des groupements.

Ces orientations seront reprises dans le rapport Legrand qui propose leur application à grande échelle.

Notes
41.

Louis Legrand, Pour une politique démocratique de l'éducation, Paris, P.U.F, 1977, p. 172-173.

42.

Louis Legrand, Pour une politique démocratique de l'éducation, op. cit., note 1, p. 225.

43.

Louis Legrand, La seconde expérimentation : 1977-1980, in Pour un collège démocratique. Rapport au ministre de l'éducation nationale, op. cit., p. 298.