Rationalisation des pratiques

L'ambition de faire accéder tous les élèves aux objectifs cognitifs de l'enseignement secondaire suppose de rationaliser les pratiques, c'est-à-dire de rechercher et employer les moyens les plus efficaces pour permettre à chacun d'atteindre les objectifs fixés.

Le premier moment de la pédagogie différenciée est l'évaluation formative qui vise à déterminer les besoins spécifiques de chacun. Elle utilise les données de l'analyse par objectifs et de la psychologie de l'apprentissage, et consiste à repérer : les manques et le type habituel d'activité mentale (reproduction, compréhension, analyse, synthèse, évaluation) - le niveau de développement de la pensée (hypothético-déductive, concrète)ainsi que les styles cognitifs et démarches d'apprentissage (attention aux détails ou aux généralités, stratégie visuelle ou auditive...)- les attitudes et intérêts (goût pour la réflexion, le discours théorique ou pour l'action et la production, goût pour le travail solitaire ou en groupe, goût pour l'abstrait ou le concret...).

Cette analyse des besoins de la population scolaire doit permettre d'ajuster les programmes nationaux aux réalités locales. L'équipe pédagogique se doit de définir les objectifs communs terminaux, compétences générales transférables, et, dans chaque discipline, des objectifs spécifiques à acquérir sur les quatre années du collège, en distinguant l'essentiel de l'accessoire et en organisant les objectifs en programmes-degrés 57 , de sorte que chacun puisse recevoir un enseignement selon son niveau de développement. Remettre en cause la rigidité des progressions pédagogiques et viser la maîtrise par tous des savoirs de chaque discipline supposent que les notions ne soient pas trop nombreuses mais bien définies, élaborées à partir de situations diversifiées en relation avec les centres d'intérêt des élèves. Une pédagogie différenciée, tout en ne perdant pas de vue les objectifs terminaux et spécifiques, se doit d'être organisée de façon souple pour permettre la prise en compte du milieu et des élèves.

Les méthodes pédagogiques, pour être efficaces, doivent prendre en compte la diversité des caractéristiques et varier les approches. Les processus habituels de la pédagogie secondaire, processus verbaux, abstraits et déductifs, sont des processus sélectifs conduisant à l'échec ceux qui n'y sont pas préparés par leur milieu. Beaucoup d'élèves sont sensibles à l'activité technique et à la convivialité. La pédagogie doit s'efforcer de varier les processus pour s'adapter à la réalité des élèves et développer des attitudes positives chez tous les élèves.

L'analyse de la population scolaire permet de repérer les préconceptions des élèves pour les déconstruire, les dépasser et permettre l'apprentissage. Les acquisitions et leur stabilité seront facilitées par une pédagogie active, ce qui n'est possible qu'à travers l'interdisciplinarité et les projets d'équipes. L'étude et la production d'objets techniques est un moyen d'apprentissage permettant l'accès à la pensée formelle par enracinement dans des expériences concrètes. L'enseignement technique est valable pour tous et ne peut être un ‘«’ ‘ instrument de ségrégation sociale ’ ‘«’ ‘’ ‘ 58 ’ ‘.’

La pédagogie de projet est particulièrement indispensable pour les élèves en difficulté. Elle engage affectivement l'élève, favorisant l'apprentissage et développant l'autonomie ; mettant en oeuvre une production collective, elle répond au besoin de socialisation. Elle n'est cependant pas exclusive et peut intégrer la pédagogie par thème et la pédagogie par les objectifs ou d'autres formes d'apprentissage.

Différencier la pédagogie, ce n'est pas enfermer chacun dans ses tendances, cantonner les uns dans des activités répétitives et ouvrir les autres à la critique et l'invention. C'est permettre à chacun de raisonner, de critiquer, d'induire et de déduire. ‘«’ ‘ Différencier la pédagogie, ce ne sera donc pas réserver le dressage aux uns et l'activité intellectuelle noble aux autres ’ ‘«’ ‘’ ‘ 59 ’ ‘.’

Un collège qui se veut démocratique doit modifier ses structures, abandonner l'idée de classe et de niveau de classe, équilibrer les disciplines, transformer la vie scolaire et individualiser l'enseignement.

Tous les élèves doivent entrer au collège, à 12 ans au plus tard, et y poursuivre leur scolarité. L'évaluation formative, remplaçant l'évaluation sommative, entraîne la suppression de tout processus de sélection précoce, le palier d'orientation de fin de cinquième étant reporté en fin de troisième. Les classes de sixième et cinquième sont à réorganiser en ensembles hétérogènes comprenant chacun au maximum 4 divisions de 26 élèves, soit 104 élèves.Chaque ensemble est fractionné en divisions hétérogènes qui peuvent, à l'occasion, être réunies. L'équipe pédagogique, à partir des observations durant le premier mois de la sixième, peut décider de constituer des sous-groupes homogènes en français, maths, langues vivantes. Au moins tous les trois mois, l'équipe pédagogique, aidée du conseiller d'orientation et d'information, régule son action à partir d'une évaluation formative. Les quatrièmes et troisièmes sont organisées selon le même principe et comportent un tronc commun de connaissances et des options.

Notes
57.

Louis Legrand, Pour un collège démocratique, op. cit., p. 38.

58.

Ibid., p. 49.

59.

Louis Legrand, Le collège unique et la différenciation de la pédagogie, in Amis de Sèvres, 1985, n°117, p. 40.