Mise en oeuvre

Variété de la pédagogie de la maîtrise, la différenciation pédagogique utilise les instruments de l'analyse par les objectifs, taxonomies et évaluation formative, et repose sur la psychologie et la sociologie de l'apprentissage. Elle relève de la compétence des équipes locales et de leur capacité à prendre en compte les conditions de l'apprentissage.

Mettre contenus et programmes à la portée de tous impose de prendre en compte la diversité des élèves, de s'adapter à chacun. La pièce maîtresse de la différenciation est l'évaluation formative. Utilisée en début de processus pour diagnostiquer les caractéristiques de départ des élèves, mais aussi régulièrement et en fin de processus pour évaluer les résultats et progressions, elle est un moyen de contrôle, non pas sélectif mais régulateur de l'action pédagogique, permettant d'organiser la progression, de l'adapter en fonction des besoins et de la corriger au vu des résultats obtenus. Elle repose sur l'analyse des programmes par objectifs, consistant à faire correspondre contenus de programme et opérations mentales. L'analyse par objectifs, intégrant les apports de la psychologie cognitive, met l'accent, non sur le programme mais sur l'élève, sur la façon dont il peut aborder et maîtriser les contenus et sur son activité lors de l'apprentissage. Dans un programme doit être repéré l'essentiel ou programme-noyau, à organiser en programme-degrés pour assurer une maîtrise progressive de la discipline. Le premier moment de l'analyse en objectifs d'une notion devrait être la construction de l'épreuve finale laquelle, pour chaque sujet d'étude et à l'aide des taxonomies, met en relief les connaissances et les savoir-faire exigibles en fonction de l'âge moyen et du type de production sollicitée : reproduction des contenus, application stricte, transfert, résolution de problème. Ce type d'analyse a l'avantage de traduire les contenus disciplinaires en compétences didactiques ; elle est un moyen rationnel de préparer sa classe.

Les objectifs généraux de la différenciation, socialisation et autonomie, ne sont compatibles qu'avec ce que Basil Bernstein appelle le code intégré. Ils sont incompatibles avec le code série, organisation verticale, disciplines juxtaposées, hiérarchie des disciplines des plus abstraites aux plus concrètes. L'essentiel ne se situe pas au niveau disciplinaire, les disciplines ne devant plus être que le support de compétences ; il ne se situe pas dans un savoir constitué mais dans les compétences de l'élève face à ce savoir. Une même compétence pouvant relever de différentes disciplines, son développement exige un travail en équipe.

Les différences de performances scolaires sont habituellement expliquées par des dichotomies entre intelligents et peu intelligents, abstraits et concrets, ceux qui ont de la mémoire et ceux qui n'en ont pas, rapides et lents, matheux et littéraires... Or, on ne peut ignorer les apports de la psychologie qui en montre la complexité. L'intelligence est plurielle, mais l'école n'en considère qu'une seule, l'intelligence discursive. Si l'objectif de l'école reste celui de la pensée abstraite, rien ne justifie qu'on emprunte toujours le chemin du simple au complexe, de l'abstrait au concret. Les différences de performances scolaires sont liées à des différences psychosociologiques que l'école ignore. Considérant que tous ont déjà accédé à la pensée formelle, elle privilégie les activités de réflexion au détriment des activités techniques et d'expression. ‘«’ ‘ La démocratisation passe par un rééquilibrage indispensable des activités scolaires et... par l'enracinement des activités proprement intellectuelles dans le substrat expressionnel et technique qui seul, chez certains élèves, est capable de les conduire à la pensée abstraite reconnue comme objectif valable pour tous ’ ‘«’ ‘’ ‘ 63 ’ ‘.’ Il est aussi utile de tenir compte des styles cognitifs. Les uns, indépendants du champ, préfèrent le travail abstrait et solitaire, et sont capables d'interpréter les données. Les autres, dépendants du champ, parviennent difficilement à des synthèses car ils sont sensibles à l'environnement sans réussir à opérer des simplifications et des choix ; l'aspect déductif conduit à l'incompréhension car il leur est trop difficile de reconnaître l'essentiel dans une abondance de données; ils ont besoin d'objectifs précis, ce qui n'est pas le cas pour les indépendants. Il est encore utile de prendre en compte les profils pédagogiques intervenant dans le processus d'apprentissage.

Conduire tous les élèves vers la maîtrise des objectifs cognitifs supérieurs, permettre au plus grand nombre de réussir, impose de tenir compte des différences, d'en établir un diagnostic précis afin d'adapter son action. Ce diagnostic doit permettre de détecter le stade de la pensée (concrète, abstraite), les attitudes (docile ou non, rapide ou lent, avide, actif, non intéressé... ), les réalités biologiques, sociologiques... A partir de ces observations les processus sont à varier, étant entendu qu'il importe de ne pas s'en tenir aux processus habituels, les plus nobles (verbaux, abstraits, déductifs, solitaires), inefficaces pour le plus grand nombre. On peut s'inspirer des approches pédagogiques variées existantes, sans se limiter à un style pédagogique qui traduit plus un choix subjectif qu'un choix rationnel, qui relève plus d'une idéologie que d'une ‘«’ ‘ technologie éducative rationnelle, au sens général du terme, capable d'adapter les méthodes aux objectifs pédagogiques et aux caractéristiques des apprenants ’ ‘«’ ‘’ ‘ 64 ’ ‘. ’Pour rationaliser le choix des styles pédagogiques, on utilisera les taxonomies permettant de définir les méthodes adaptées.

Il ne s'agit donc pas de préconiser des pédagogies de façon globale et institutionnelle pour des publics spécifiés, mais des techniques pédagogiques adaptées aux objectifs et aux individus. L'action pédagogique se construit à partir de diagnostics et est basée sur la concertation. Elle doit être rationalisée en fonction des besoins des élèves, et non dépendre de la personnalité du maître et de l'institution. Elle consiste à varier les choix et niveaux d'entrée dans un programme à partir de sa traduction en objectifs, à varier les processus, à varier les langages et les situations relationnelles d'apprentissage. ‘«’ ‘ Le propre d'une différenciation de la pédagogie est donc d'utiliser ces différentes situations en fonction du public traité et non plus en expression spontanée de sa propre personnalité ’ ‘«’ ‘’ ‘ 65. L'enseignant n'est plus défini par son savoir ; ‘«’ ‘ il est celui dont le savoir technique permet de détecter les niveaux d'entrée dans un savoir ou dans une compétence sociale, celui qui est capable d'analyser les contenus disciplinaires pour en mettre en relief les objectifs comportementaux généraux, qui est capable aussi d'assurer les situations d'apprentissage correspondant à la nature de tel ou tel apprenant. S'il peut encore être l'homme d'une discipline, il est aussi celui de la didactique comme art et technique d'apprentissage... ’ ‘«’ ‘’ ‘ 66 ’ ‘.’ Il ne peut travailler seul car les objectifs ne peuvent être définis que par une équipe, et car l'interdisciplinarité est une nécessité pour les élèves non encore parvenus à la pensée hypothético-déductive ; elle permet à la pensée inductive de partir de situations vécues et de travailler en groupe.

Notes
63.

Louis Legrand, La différenciation pédagogique, op. cit., p. 141.

64.

Ibid., p. 49.

65.

Louis Legrand, Les différenciations de la pédagogie, Paris, P.U.F, 1995,p. 49.

66.

Louis Legrand, La différenciation pédagogique, op. cit., p. 44.