Ethique pédagogique

Le projet d'être étant le projet fondamental par lequel chacun se structure et structure son rapport à la connaissance, le rôle du pédagogue est de faire en sorte que toujours ce projet d'être anime la conscience, que chacun accepte sa vocation à la liberté, prenne conscience des moyens de l'exercer, s'engage dans une voie opposante ou composante et puisse s'enrichir et se développer à partir des différences. Cela suppose de respecter les conditions qui permettent son éveil et son développement, en particulier de ne pas étouffer le sentiment de liberté qui habite le projet de l'enfant, condition de l'éveil et du développement de l'intelligence. C'est par autrui que chacun se découvre ; autrui est donc source de liberté, à condition que soit reconnue et respectée la forme fondamentale de relation à autrui, composante ou opposante.

Si l'intelligence présente différentes formes, se développe à partir des évocations qui sont différentes, l'éducateur ne peut se contenter de ‘«’ ‘ présenter, à sa manière, l'intelligibilité et la raison des choses ’ ‘«’ ‘’ ‘ 101 ’ ‘.’ La proposition pédagogique doit varier en fonction des enfants, selon la façon dont s'établit leur rapport au sens. Elle se doit aussi de reposer sur le respect des différences en matière d'évocations : respect du projet d'être soi, vécu dans une structure d'évocation composante ou opposante - respect de la forme évocative fondamentale qui découle du projet d'être soi : par similitudes ou par différences - respect du cadre spatial ou temporel, de l'évocation en première ou troisième personne qui en découle. Chacun doit être amené à prendre conscience de soi, de ses évocations par le dialogue pédagogique, afin de ne plus être victime du conformisme, c'est-à-dire de ‘«’ ‘ la dose de sens qu'on lui propose et qui normalement doit lui suffire ’ ‘«’ ‘’ ‘ 102 ’ ‘.’ C'est le respect de ces formes fondamentales qui permet leur dépassement et le développement de l'intelligence. C'est donc par des voies spécifiques que chaque sujet pourra dépasser ses limitations premières et s'ouvrir à la liberté.

Le projet d'être soi en suppose la motivation qui lui donne son orientation. Etre motivé, c'est accepter sa vocation à la liberté, accepter d'être l'auteur de ses propres projets de sens ; c'est être capable de se créer des structures de projets de sens de liberté, structures choisies par l'intervention de sa volonté, motivées par les fins et par les moyens. Etre libre, c'est agir en pleine conscience par sa propre volonté, pour des motifs choisis et conformément à la finalité de la conscience, l'exigence du vrai, du bien et du beau 103 . La motivation est en échec quand l'habitude n'a pas fait l'objet d'un choix, d'un acte volontaire, quand la motivation des fins ne peut s'articuler avec la motivation des moyens ou vice versa, quand l'angoisse de contingence se dévoie en peur paralysante et soumet le sujet aux choses ou à autrui. Les structures de liberté sont ici premières, car même possédant motivation des fins et motivation des moyens, la motivation peut être en échec si elles n'existent pas.

S'éveiller à soi suppose une pédagogie de l'acte volontaire afin que chacun puisse prendre conscience de ses possibilités et des moyens d'en faire bon usage. La pédagogie de l'acte volontaire ‘«’ ‘ permet à la conscience de s'installer au poste de commande de la liberté ’ ‘«’ ‘’ ‘ 104 ’ ‘ . ’Maîtrise de soi, décision, ténacité et initiative 105 , facteurs indissociables de l'acte volontaire, ne doivent jamais être séparés dans l'apprentissage.

C'est de la relation à autrui qu'émerge la motivation, et sa forme dépend de cette relation : construction de soi par identification à autrui et éveil au sens par les similitudes pour le composant - construction de soi par opposition et éveil au sens par les différences pour l'opposant. Le composant, motivé par la communication des moyens, a besoin d'une pédagogie de l'entraide. L'opposant, motivé par la confrontation à autrui, a besoin d'une pédagogie de la concurrence. Le composant-recordman et l'opposant- compétitif possèdent des structures de projet à contenu différent. Le premier s'attache à discerner ses propres qualités et celles d'autrui, mais manque d'esprit critique ; par conséquent, il échouera dans une situation de compétition. Il ne peut réussir que s'il adopte l'autre structure de projet d'évocation, celle de l'opposant-compétitif qui consiste à évoquer les faiblesses d'autrui et les siennes. De même, l'opposant-compétitif peut avoir besoin dans certaines situations de se donner un autre projet d'évocation, celui du composant-recordman. Le respect et le développement de la motivation supposent, qu'au-delà des deux situations ontologiques qui font le composant et l'opposant, soient aussi prises en compte les raisons qui font l'un ou l'autre. Par delà les déterminations qui feraient que le sujet a tendance à composer ou à s'opposer, il y a la conscience de l'être qui choisit et agit en fonction de fins. Si le composant vise à se protéger et éviter le conflit, il vise aussi la participation à l'être d'autrui 106 ; son angoisse d'être étant vécue dans la solitude, sa motivation d'être est vécue dans les relations avec autrui. L'opposant, quant à lui, vit son existence d'être dans l'individualité ; son angoisse d'être est vécue dans les relations avec autrui ; sa motivation d'être est vécue par la distinction d'avec autrui ; il donne sens de liberté à son angoisse par la joie de pouvoir être soi dans son individualité. Pour atteindre la volonté d'une conscience libre, il faut adopter l'une ou l'autre de ces situations ontologiques. Le moi peut adopter deux positions, rejoindre autrui ou s'en séparer. Paradoxalement, c'est l'opposant qui, par essence, est participatif et le composant très axé sur lui-même ; le premier, très sûr du moi d'autrui, peut s'adonner au sien ; le second, très sûr de son moi, peut s'ouvrir à celui d'autrui.

Chacun risque d'être esclave de sa forme de relation à autrui et la motivation risque d'échouer si on ignore ‘«’ ‘ les structures grâce auxquelles l'être humain donne sens au monde et à lui-même ’ ‘«’ ‘’ ‘ 107 ’ ‘.’ C'est à partir des structures de sens que la conscience se développe, mais aussi se limite. Ces structures doivent être prises en compte par l'éducateur qui aura à proposer d'autres projets afin de permettre l'épanouissement de chacun par la découverte du sens de sa liberté. La pédagogie de la motivation repose sur une éthique, guidée par des principes : le respect de la vocation de chacun à la liberté, le devoir de chacun de prendre conscience des moyens d'exercer sa liberté, le devoir de la société d'en procurer les moyens en ménageant ‘«’ ‘ des temps et des lieux où les hommes communiquent l'intelligence de leurs procédures ’ ‘«’ ‘’ ‘ 108 ’ ‘,’ non dans un seul but de générosité sociale mais aussi pour celui d'un progrès de l'humanité. C'est en permettant à chacun de bénéficier des richesses de l'autre que tous ensemble agiront pour le progrès de l'humanité.

C'est la conscience de leur ignorance qui devrait motiver les éducateurs. C'est l'analyse des vécus de conscience des élèves qui peut être profitable. Les projets que devrait se donner toute conscience éducative, pour éveiller et développer la motivation, sont de faire prendre l'habitude à chaque élève d'évoquer de façon à pouvoir saisir le sens des situations, et d'agir de telle sorte que son projet d'être toujours anime sa conscience.

Notes
101.

Antoine de La Garanderie, Pour une pédagogie de l'intelligence. Phénoménologie et pédagogie, op. cit., p. 65.

102.

Ibid., p. 94.

103.

Antoine de La Garanderie, La motivation, son éveil et son développement, op. cit., p. 15

104.

Ibid., p. 92.

105.

Ibid., p. 62.

106.

Antoine de la Garanderie, La motivation, son éveil et son développement, op. cit., p. 115.

107.

Ibid., p. 123.

108.

Antoine de La Garanderie, La motivation son éveil et son développement, op. cit., p. 111.