LA TECHNIQUE PEDAGOGIQUE
UNE PUISSANCE AMBIGUË

L'action pédagogique ne peut se figer dans des principes ; elle appelle des moyens concrets d'action. Daniel Hameline, Louis Legrand et Antoine de La Garanderie se sont efforcés de trouver des réponses possibles à ce besoin de concrétisation. Fondée sur des idées humanistes et généreuses, leur démarche met aussi en lumière la difficulté de faire de l'instrumentation pédagogique un moyen cohérent avec les fins éducatives qu'elle voudrait pourtant servir.

L'utilisation des objectifs impose lucidité et prudence pour ne pas faire de la pédagogie une entreprise de conditionnement. La rationalisation pédagogique est nécessité, mais aussi piège. Comment se garder de la fascination instrumentale ? Daniel Hameline en appelle à la raison, mais aussi à la dérision. Gardons-nous de toute certitude et arrêtons de nous prendre tant au sérieux !

Contrairement à Daniel Hameline, il ne semble pas, pour Louis Legrand, y avoir jamais excès de rationalisation. C'est toujours de défaut que souffre l'action pédagogique ; contre la déraison, les tendances inégalitaires irrationnelles, la rationalité objective de la science et de la technique sont nos meilleurs atouts. L'action pédagogique doit tendre à devenir un acte technologique. Mais la technologie n'impose-t-elle pas aussi une logique, celle de l'observation, de la prévision, de l'organisation rigoureuse, lieu de tous les dangers pour la fonction éducative ?

A contre-courant des objectifs et des comportements observables, Antoine de La Garanderie préconise une pédagogie basée sur l'introspection, s'intéressant à ce qui justement n'est ni observable, ni évaluable. Cette pédagogie se veut science, science des moyens et science de la subjectivité, permettant de régler la pratique, de gagner en efficacité tout en développant la liberté. Mais la connaissance des moyens mentaux permet-elle de garantir la liberté ? Et si harmonie il y a, pourquoi déployer tant d'efforts pour s'en assurer, pour rappeler que la structuration des moyens mentaux ne peut valoir qu'au service de la liberté ?

Ces trois pédagogues nous rappellent que l'action pédagogique est action d'humanisation, refusant d'enfermer chacun dans ses déterminations sans espoir de progrès possible. Rechercher les moyens d'apprendre, de réussir scolairement, c'est se soucier de chaque enfant et s'inscrire dans une démarche éthique visant la liberté et la justice. Et c'est aussi s'inscrire dans une démarche technique, soucieuse de rationalisation pédagogique, de son perfectionnement et de l'efficacité de ses moyens. Si la technique pédagogique est le lieu où peuvent se concrétiser les élans généreux, elle apparaît aussi comme lieu de danger pour la fonction éducative. Lieu d'espoir et lieu de danger, puissance ambiguë, pourquoi tend-elle à se déployer au détriment des fins qu'elle prétend pourtant servir ? Cette ambiguïté appartient-elle à l'essence de la technique ? Qu'est-ce que la technique ?Comment la soumettre à des fins humaines ?