La technique est un ‘«’ ‘ ensemble de procédés bien définis et transmissibles, destinés à produire certains résultats jugés utiles ’ ‘«’ ‘’ ‘ 119 ’ ‘.’ Elle possède donc des caractéristiques précises que l'on peut décrire ou montrer, obéissant à des règles que l'on connaît et que l'on peut, de ce fait, transmettre. Elle est un savoir-faire clairement formulable, ne se limitant pas à un instrument mais désignant, plus largement, l'acte efficace, capable de produire l'effet recherché, effet jugé utile. Elle n'est donc pas fin en soi mais seulement moyen utile à, utile pour, au service de... La technique renvoie à la nécessité de discerner, d'apprécier justement l'utile et de préciser quels sont les résultats valables et dignes de considération. La valeur de la technique se juge donc à sa capacité de produire l'effet auquel elle tend, à son efficacité, mais aussi au service qu'elle rend à une fin qu'elle ne pose pas. On retrouve dans cette définition les différentes acceptions du terme grec technè.
L'étymologie grecque renvoie à trois sens. Technè dérive du grec ancien teucho : fabriquer, produire, construire, et de teuchos : outil et arme, instrument par excellence. Ce premier sens de fabrication matérielle s'élargit rapidement pour désigner le faire en général, faire approprié et efficace. Chez Platon, la technè désigne ainsi la production et la faculté qui la permet, le savoir-faire, la méthode fondée sur un savoir rigoureux. Parallèlement, le verbe poieô, qui signifie aussi fabriquer, donne naissance au concept de création, la poièsis à laquelle Platon et Aristote rattachent finalement la technè. Sont des poièsis tous les arts, c'est-à-dire toutes les activités qui relèvent d'une technique. Platon, jugeant cette activité indigne car elle ne porte que sur des réalités sensibles, s'en désintéressera. Pour Aristote aussi la simple production est indigne de l'homme ; il la réserve aux esclaves, instruments au service de la cité. Il accordera cependant un rôle particulier à la poièsis, faculté acquise créatrice accompagnée de raison, qu'il s'attachera à expliciter par différence avec la praxis, autre forme d'activité concrète.
Tous les arts sont des poièsis, des activités d'intervention sur la nature consistant à utiliser des matériaux pour créer quelque chose de nouveau à la lumière de son savoir. La poièsis est une activité éthiquement neutre, susceptible d'un bon ou d'un mauvais usage, usage dont elle ne juge pas. Son bon usage, au service de l'homme et du bien de la collectivité, relève d'une autre instance, la praxis, action morale et politique qui lui donne son sens, son orientation.
L'action pédagogique est bien poièsis, intervention sur la nature de l'enfant, pour que s'y développe une possibilité qui, sans cette intervention, ne serait pas : telle faculté, tel savoir, tel comportement... Elle est alors organisation d'un parcours dont chaque étape marque la progression et à l'atteinte de laquelle doit être mise en oeuvre la technè, c'est-à-dire le savoir-faire le plus efficace. Mais l'action pédagogique ne peut se réduire à une simple poièsis, à un processus de fabrication selon des plans préétablis. Elle se doit d'intervenir sur la nature de l'enfant, mais aussi faire en sorte que cette intervention ne soit pas simple processus d'adaptation, afin qu'il puisse, par son mouvement même, gagner en autonomie. Elle est alors aussi praxis, action éducative et morale, n'ayant d'autre souci que le perfectionnement de sa propre conduite afin de permettre à chaque enfant de progresser en humanité. Poièsis et praxis pédagogiques sont deux formes de l'action concrète qui, différant quant à la fin, diffèrent aussi quant aux moyens. Comment unir ces deux démarches qui obéissent chacune à leur propre logique ? Comment faire en sorte que la poièsis soit au service de la praxis ?
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., volume 2, troisième édition, 1993.