Pour Aristote, éduquer consiste à conduire de sa condition d'homme à la réalisation de ce qui en fait l'excellence, à apprendre à devenir plus Homme. Celui qui est le mieux placé pour éduquer est ‘«’ ‘ l'homme possédant la science du législateur ’ « 130 . Avoir la science, c'est avoir la connaissance des Idées, connaissance qui éclaire le choix des moyens. L'expérience peut parfois paraître suffisante pour traiter un cas particulier, mais elle ne peut suffire pour celui qui cherche par l'éducation à rendre les hommes meilleurs.
La theoria pose les Principes premiers, les Idées ou structures sensées qui rendent intelligible l'ensemble de la démarche pédagogique, permettant de la comprendre, c'est-à-dire de lui donner son sens et de justifier ses moyens, mais aussi d'indiquer l'Idéal, le Modèle vers lequel doivent tendre tous les efforts.
L'Idée, Cause première, est ce qui donne sa raison d'être à l'action pédagogique. L'action pédagogique n'aurait aucun sens sans une Idée de l'Homme et de sa perfectibilité. Elle seule peut justifier la mise en oeuvre de moyens pour aider chaque enfant à tendre vers ce qu'il y a de meilleur en lui. Elle est le principe explicatif qui fait que l'action pédagogique a sa raison d'être, raison d'être dans sa fonction éducative comme participation à la formation de l'Homme. Elle est aussi le principe qui oriente l'action, permettant de décider de ce qui est véritablement éducatif ou ne l'est pas et de justifier les moyens retenus. Le Souverain Bien vers lequel sont tendus tous les efforts : le Bonheur, la Liberté, la Justice... , est la fin suprême par rapport à laquelle tout le reste n'est que moyen. Orientant la démarche en indiquant ce vers quoi il faut tendre, les Idées constituent le fondement éthique qui réglera la conduite. Fondements des propositions concrètes, elles représentent le Modèle parfait, l'Absolu de référence qui, non seulement rend intelligible l'ensemble de la démarche, fonde la règle de conduite et justifie le choix des moyens, mais qui aussi l'inspire, la dynamise en indiquant l'idéal vers lequel il faut tendre sachant qu'il est hors de portée et que l'on ne peut que s'en approcher.
Accéder à la theoria, réfléchir à l'Homme à construire, suppose de se détourner du monde sensible, de ses affaires et de son agitation, sans se soucier d'applications pratiques. Telle a été, par exemple, la position choisie par Rousseau qui clame sa préférence théorique et son désintérêt pour la pratique. L'Homme est un être libre ; sa Perfection est la Liberté qui s'épanouit dans la Nature. L'homme à construire est donc l'homme naturel. La société s'étant éloignée de la Nature, il s'agit de reconstituer les conditions d'une Education naturelle. Emile sera donc éduqué loin de toute influence familiale et sociale. C'est avec des Hommes comme Emile que la vie sociale pourra retrouver ses qualités perdues et se réformer sur la base du Contrat social. Si Emile est bien un individu avec ses joies, ses tourments, il est aussi, et surtout, un élève imaginaire, l'Enfant abstrait loin des contingences familiales et sociales, et son Education peut alors être le modèle idéal, non pas un traité d'éducation, mais les rêveries d'un visionnaire sur l'éducation 131 .
La theoria, portant sur les Réalités pures, est hors de la sphère de l'action concrète toujours imparfaite. Mais elle seule permet de lui donner son sens et son orientation. Elle seule permet de poser les fins de la praxis, fins humaines, fins éducatives en fonction desquelles seront recherchés les moyens permettant à chaque enfant d'atteindre un optimum d'humanité.
Aristote, Ethique de Nicomaque, Traduction, préface et note par Jean Voilquin, Paris, Editions Garnier Frères Flammarion, 1965, p. 284.
Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l'éducation, Paris, Edition Garnier-Flammarion, 1966, préface, p. 32.