Une praxis

Fin

Chacun, de par sa Dignité, doit pouvoir se réaliser, accéder au bonheur personnel et trouver une juste place dans la société.

Moyens

  • Prudence

La praxis, action morale et éducative, est indissociable de la praxis politique. Sa droite règle consiste à concilier égale Dignité, Identité commune et différences observables. Tous les enfants sont différents mais, au-delà des différences particulières, le bonheur suppose épanouissement, réalisation de soi, incompatible avec toute forme de domination. Tous les efforts doivent porter sur les moyens de permettre à chacun de se développer sans restriction, sans privilège et sans exclusion, chacun ayant un droit égal au développement de sa liberté, de toutes ses potentialités et au bonheur personnel.

Tous les élèves doivent pouvoir accéder au savoir, mais le savoir seul ne fait pas la Dignité. La personne tient sa Dignité de son savoir, de ses facultés intellectuelles, mais aussi de ses autres potentialités qui font son originalité, de son autonomie, de sa citoyenneté et de sa capacité à vivre avec les autres. L'éducation qui privilégie le développement intellectuel mutile le développement, encore plus quand elle s'en sert d'instrument de sélection sociale. L'éducation doit être globale, sans restriction, l'école devenir un lieu de libération qui permette le développement de toutes les potentialités, cognitives, artistiques, techniques et sociales. Il s'agit de retrouver ‘«’ ‘ les voies d'un humanisme total et non plus mutilé par la prévalence exclusive de l'intelligence abstraite ’ ‘«’ ‘’ ‘ 158 ’ ‘.’ L'égale Dignité impose donc de s'attacher au développement de toutes les potentialités sans transformer les différences observables en inégalités.

Dans la société inégalitaire actuelle, n'existent ni l'égalité devant le savoir, ni l'égalité des chances. ‘«’ ‘ Seuls accèdent au savoir de façon telle qu'ils puissent en nourrir leur liberté, ceux-là même que la naissance privilégie déjà...L'école libère donc par le savoir ceux qui sont déjà libérés par leur statut social ’ ‘«’ ‘’ ‘ 159 ’ ‘.’ L'Idée de Justice impose de trouver les moyens qui permettront de respecter l'égale Dignité fondamentale, en centrant ses efforts sur la lutte contre les privilèges et en trouvant les moyens qui permettront de libérer les enfants des classes populaires des contraintes qui les oppriment.

Tous doivent bénéficier des mêmes possibilités d'accès aux études et de la même organisation. Le premier moyen est politique et consiste à unifier les filières pour réaliser le collège unique. Cependant, cette règle générale doit être raisonnée pour tenir compte de la réalité. Tous les élèves ne sont pas au départ égaux. Appliquer l'égalité de droit sans se soucier de l'inégalité des chances socialement déterminée, c'est s'en tenir à une Justice purement formelle qui vient conforter l'inégalité de départ. Se maintenir à l'Idée de Justice qui prescrit l'égalité de droit, c'est respecter l'Identité commune mais, c'est aussi oublier l'enfant concret dans ses différences. La Justice exige le droit, mais celui-ci ne peut consister dans l'emploi d'une mesure égale pour tous. Le droit réellement humain doit être inégal, car la véritable justice doit prendre en compte la diversité des situations. Il ne peut y avoir de collège unique, démocratique sans moyens pédagogiques appropriés et différenciés. La droite règle est l'équité, juste milieu entre Idée de Justice et réalité, entre identité des Personnes et diversité des individus et des situations.

  • Médiété

La prudence appelle la médiété, alliant moyens politiques et moyens pédagogiques : un collège unique où les objectifs ne peuvent être que les mêmes pour tous, car tous ont même Dignité, et une pédagogie différenciant ses moyens, car les enfants sont, de fait, différents.

Toutes les aptitudes doivent être développées afin de ne pas restreindre le développement de soi, ni se servir de telle ou telle aptitude pour justifier une sélection. Les activités au collège sont donc à rééquilibrer.

Le savoir doit être un instrument de libération et de démocratisation 160 . L'accès au savoir est encore un privilège réservé aux enfants des classes favorisées. Permettre à tous d'accéder au savoir, notamment aux enfants des classes populaires, suppose de prendre en compte le handicap socioculturel de départ et de faire de l'école un lieu de compensation. Chacun doit pouvoir recevoir à l'école une aide adaptée à sa situation personnelle, tant du point de vue affectif que du point de vue intellectuel ; cette aide est assurée par la fonction de tutorat. L'enseignant ne peut se contenter de transmettre un savoir. Il lui faut créer les conditions qui favorisent l'accès au savoir et guider les élèves en matière d'instruction, d'éducation et d'information. La pédagogie différenciée consiste donc à individualiser au maximum en soutenant les élèves en difficulté. Mais elle développe aussi la capacité à établir des rapports avec ses semblables, la socialisation par le travail et l'ouverture sur l'extérieur.

L'enseignant n'est plus le maître isolé imposant un savoir ; il travaille en équipe et ses fonctions sont celles d'enseignement, de tutorat et de concertation. Il doit s'attacher au développement de l'autonomie en permettant à chacun de faire des choix et de s'engager. Il doit trouver l'équilibre entre les activités d'enseignement et les activités d'apprentissage de façon à résoudre les antinomies entre la nécessaire hétéronomie et la nécessaire autonomie : ‘«’ ‘ thèmes choisis par l'élève et programmes disciplinaires imposés ; activité autonome et activité magistrale ; libération et structuration ; groupes de choix et groupes de niveaux ; options et matières obligatoires ’ ‘«’ ‘’ ‘ 161 ’ ‘. ’

L'école, ne pouvant être désenclavée de son contexte social, sa transformation ne peut être pensée indépendamment d'une transformation sociale. Le développement de toutes les potentialités suppose qu'elles soient également toutes socialement reconnues, l'idéal étant une Société égalitaire sans hiérarchie sociale. On ne peut se contenter d'attendre un progrès social pour progresser dans le domaine scolaire ; on ne peut non plus espérer dans un changement imposé. La solution ne peut venir que de la création des conditions d'une démocratie locale, reposant sur l'initiative et la responsabilité. Faire de l'école un lieu de vie en relation avec son environnement devrait permettre de responsabiliser tous les acteurs du système éducatif. Cela suppose de renoncer à la conception centralisatrice de l'institution, imposant un seul modèle applicable à tous, et de créer ‘«’ ‘ les conditions institutionnelles du maximum de liberté et d'initiatives locales ’ ‘«’ ‘’ ‘ 162 ’ ‘.’ De la variété d'initiatives locales naîtra une variété de solutions, la seule à même de respecter les différences. Mais les objectifs doivent rester communs, définis dans un cadre national.

La praxis pédagogique est lieu de tension entre Idées et réalité, lieu de médiété sous ses formes les plus variées : unification et différenciation - équilibre des activités - individualisation et socialisation - enseignement et apprentissage personnel - centralisation et décentralisation.

Notes
158.

Louis Legrand, Pour une politique démocratique de l'éducation, op. cit., p. 220.

159.

Ibid., p. 215.

160.

Louis Legrand, Pour une politique démocratique de l'éducation, op. cit., p. 216

161.

Louis Legrand, La seconde expérimentation (1977-1980) in Pour un collège démocratique, op. cit., p. 295.

162.

Louis Legrand, Pour une politique démocratique de l'éducation, op. cit., p. 225.