Une praxis prudente

La pédagogie différenciée est praxis morale et politique, visant le bonheur de tous par la réalisation de soi.

L'Idée de Dignité en est le Principe premier. C'est sur elle que se fondent les autres Idées : Bonheur, Justice et Démocratie. De ces Idées découle la praxis politique et pédagogique, la fin et la conduite qui s'imposent. Elle valorise la prudence et sa droite règle, juste reconnaissance de toutes les potentialités et juste milieu entre des extrêmes qui seraient injustice : ni moins que ce qui est dû, ni plus, imposant, étant donnée la situation actuelle, de lutter contre les privilèges et de s'attacher au développement des plus défavorisés.

La theoria impose de trouver les moyens concrets d'action qui permettront de faire respecter le même droit pour tous. Le collège unique, où chacun recevra ce qui est sien, c'est-à-dire la même chose que tout autre, est ce moyen. Mais la praxis impose aussi de tenir compte de la réalité concrète. Prise seule en considération, l'Idéede Justice conforte l'inégalité des chances et perpétue l'inégalité sociale. Ne tenant pas compte des inégalités de départ, elle se contente d'un traitement égal, de la même mesure pour tous alors que tous ne sont pas identiques, et demeure injuste. Il faut donc, en outre, tenir compte de la réalité concrète de chaque enfant qui a ses particularités propres. La Justice ne sera juste que si elle assure les mêmes droits pour tous, tout en tenant compte de la diversité des situations. Chacun doit recevoir ce qui lui est dû, le même que tout autre puisqu'il est son égal, mais aussi un dû différent puisqu'il en est différent. L'action pédagogique ne peut être juste que si elle est différenciée, permettant de conduire chacun à la visée commune.

L'Idée de Justice, concrétisée dans l'égalité de droit, demeure trop générale. Strictement appliquée, elle ne peut être qu'injuste. Il faut en viser l'amélioration en sachant la dépasser par une justice particulière soucieuse d'équité, se faisant alors distributive, proportionnelle aux besoins de chacun, permettant la compensation des handicaps. Louis Legrand rejoint donc Aristote. Ce qui est juste, c'est ce qui est légal et équitable, équité et légalité ne se rejoignant parfaitement que dans la Cité idéale réalisant l'Idée de Justice. Mais il s'en écarte aussi.

Pour Aristote, la justice distributive justifie la hiérarchie dans la Cité, cette distribution des places et du pouvoir étant elle-même fondée sur les inégalités de nature. Une telle conception ne peut plus être acceptée ; le monde n'est pas partagé entre un haut et un bas, le céleste et le sublunaire. Rien ne peut plus, dès lors, justifier une hiérarchie des hommes dans l'ordre naturel ni la domination comme un fait naturel. Pour Louis Legrand, il ne peut exister aucune inégalité entre les hommes, ni supérieurs, ni inférieurs, ni même inégalité des talents. C'est l'égalité stricte, arithmétique des hommes qui vient justifier la lutte contre les inégalités.

La poièsis reste soumise à la praxis. Les moyens techniques, concernant l'organisation structurelle au niveau de l'établissement, l'organisation des horaires et des groupements gardent leur statut de moyens au service des besoins révélés par les analyses locales. Ils ne sont pas clos sur eux-mêmes, ni imposés, ni fixés définitivement ; ils sont au contraire à utiliser avec souplesse en fonction de la réalité toujours changeante.