Antoine de La Garanderie se désintéresse explicitement des Idées pour s'attacher exclusivement aux conditions concrètes de développement d'une liberté relative, la seule humainement possible. S'il se désintéresse de la theoria pour porter ses efforts sur la connaissance du monde sensible, la pédagogie qu'il préconise n'est pourtant pas détachée de toute theoria, car rechercher les moyens de la liberté, c'est aussi fonder sa démarche sur une Idée de l'Homme. Comme l'a souligné Aristote, l'homme, être sensible, doit s'efforcer d'accomplir au mieux sa forme. Sa forme est sa Liberté.
L'homme étant déterminé par ses structures mentales, c'est céder à une illusion que de penser le sujet comme absolument libre. L'homme est un être naturel, soumis au déterminisme. Sa conduite est déterminée par le jeu de ses tendances qui, d'ordre inconscient, ne font intervenir ni la volonté, ni un choix conscient ; il ne peut donc exister de Liberté absolue reposant sur le libre choix. Déterminé par sa nature psychologique, assujetti à ses habitudes, à ses structures, l'être humain a cependant le pouvoir de dépasser cette nature première en apprenant à la connaître. Si les habitudes ne changent pas fondamentalement au cours de la vie, elles ne sont cependant pas définitives et peuvent être améliorées et complétées. L'Homme est un être capable de connaissance et donc de liberté. Sa liberté repose sur la connaissance de ses déterminations, car connaître les causes qui nous déterminent c'est, en même temps, trouver les moyens d'agir sur elles ; chacun peut ainsi se rendre maître de lui-même et de ses actions. Contre l'idéologie du don qui enferme définitivement chacun dans son déterminisme naturel, sans espoir de progrès possible, Antoine de la Garanderie fonde sa démarche sur une Idée de l'Homme qui, s'il est être naturel, n'est pas entièrement soumis au déterminisme ; il possède, grâce à son intelligence, la possibilité de le maîtriser et c'est ce qui fait sa Liberté. Même si cette Liberté n'est que relative, elle constitue bien l'essence de l'Homme, l'Universel, l'Idée qui guide la démarche ; elle est l'absolu vers lequel l'Homme doit tendre pour accomplir au mieux sa forme.
Libéré de ses structures, chaque être humain peut toujours s'enrichir et devenir toujours plus lui-même, c'est à dire toujours plus Homme. Avec lui, c'est toute l'Humanité qui s'élèvera. Eclairé par la connaissance, il développera sa perfection et participera du Progrès général de l'Humanité. « Dans la perspective d'une société pacifiée et soucieuse de progrès, au point de vouloir que rien ne se perde, chacun s'adresserait à chacun en ces termes : ‘«’ ‘ nous avons besoin de ton génie... ’ ‘«’ ‘’ ‘ 222 ’ ‘.’ Par delà la pédagogie comme science des moyens visant l'adaptation scolaire, perce l'idéal d'une société pacifiée et soucieuse de progrès à la construction de laquelle participe la pédagogie. Par delà les particularités, l'originalité de chaque conscience, c'est encore à un dépassement du réel empirique vers un ‘«’ ‘ acte de foi dans l'inépuisable des richesses de vérité et de beauté du monde ’ ‘«’ ‘’ ‘ 223 ’ que nous invite Antoine de La Garanderie, acte de foi en l'incommensurable bonté de Dieu. Pourquoi, en effet, nous aurait-il pourvu d'un cerveau, si ce n'est pour que nous apprenions à nous en servir pour atteindre les lumières de l'esprit ? Cette référence à Dieu, très discrète, apparaît cependant comme une constante 224 .
Antoine de La Garanderie, Comprendre et imaginer, op. cit., p. 84.
Ibid., p. 84.
Dans Défense et illustration de l'introspection, Antoine de la Garanderie mentionne les structures de projets de sens qui régissent nos rapports aux choses, à la liberté, à Dieu. Dans Les profils, une imagerie religieuse côtoie aussi l'imagerie économique. «La pédagogie de l'incarnation apparaît comme la condition d'une Rédemption scolaire. Les élèves en difficulté pourront procéder à leur examen de conscience pédagogique. Ils ne seront pas d'emblée condamnés à l'enfer de l'échec » . Les profils pédagogiques, huitième édition, op. cit., p. 253.