Moyens

La praxis pédagogique étant oeuvre d'humanisation, son devoir est de permettre à chaque enfant d'être soi par l'initiative de sa liberté. Le rôle du pédagogue est de l'y aider en lui procurant les moyens de présider ou de s'associer à sa propre croissance 231 ; il en a les capacités et son autonomie doit sans cesse être exercée. ‘«’ ‘ L'être humain doit être reconnu dans sa capacité à diriger sa vie par lui-même, le rôle de l'éducateur, de l'éducation, étant de lui en révéler les moyens ’ ‘«’ ‘’ ‘ 232 ’ ‘.’Le pédagogue n'a pas à se laisser influencer par une définition a priori de l'intelligence. L'enfant a des capacités insoupçonnées qu'il ne peut connaître d'avance ; il doit avoir confiance dans la parole de l'enfant sur laquelle il prendra appui.

Le monde est ce qui permet à l'homme de se révéler, de se construire, d'accéder à soi dans un rapport concret avec les choses, avec autrui, acte par lequel il affirme sa liberté. Or, cette liberté n'est pas une donnée de nature. Au contraire, l'homme est déterminé, soumis à des lois, mais sa liberté peut naître au cœur de la structure. La science des moyens est aussi science de la subjectivité, imposant de régler son action sur la connaissance des conditions du passage du déterminisme à la liberté. La liberté n'est pas un absolu, mais une réalité concrète, le résultat d'une libération, imposant d'en conduire le développement avec méthode. La règle générale de conduite, règle de la prudence, consiste à permettre à chacun de se construire comme être de sens, en lui procurant les moyens dans le respect de son intériorité. Ellene peut fonctionner de façon absolue et doit aussi tenir compte de chaque cas particulier, de la réalité mentale toujours particulière.

  • Médiété

La praxis pédagogique doit tenir la médiété, refuser les extrêmes, éviter aussi bien l'idée préconçue de l'innéisme du don, enfermement dans la structure, que la seule considération du sens sans la structure. Elle se doit de développer l'intelligence en liant structure et sens.

Le dialogue pédagogique, basé sur l'introspection eidétique, est le moyen éducatif approprié permettant à chacun de naître ‘«’ ‘ à l'autonomie mentale, à sa responsabilité de conscience ’ ‘«’ ‘’ ‘ 233 ’ ‘. ’Il permet de prendre conscience de soi et de ses déterminations, mais aussi de découvrir que tout acte est animé par un projet de sens et que chacun a des capacités de sens. Basé sur l'échange, il permet à l'enfant de prendre peu à peu conscience de ses vécus de conscience et de les comparer avec d'autres possibles, lui évitant de s'enfermer dans sa propre expérience. Le dialogue pédagogique est un acte commun, permettant aussi bien à l'élève qu'à l'enseignant de s'ouvrir à la différence, à la richesse de sens et de progresser en humanité.

Connaissant les caractéristiques de la liberté, dont les moteurs sont l'intelligence, la motivation et la volonté, il est possible d'éduquer à la liberté. Puisque le projet d'être soi est la forme fondamentale par laquelle chacun se structure et développe son intelligence, le pédagogue devra s'attacher à ce que toujours ce projet anime la conscience, que chaque enfant s'engage dans une voie opposante ou composante. L'élève est un être humain, un être de sens. L'éveil de son intelligence, le développement de sa capacité à donner sens supposent de respecter le sentiment de liberté qui habite son projet d'être. Autrui ne sera source de liberté que s'il reconnaît et respecte la forme fondamentale du projet d'être soi. C'est sur cette base que s'organise l'action pédagogique, car seul ce respect permet d'ouvrir à d'autres possibles. Ce projet présentant deux formes fondamentales, la pédagogie se différenciera en proposant une pédagogie de l'entraide pour le composant et une pédagogie de la concurrence pour l'opposant, en faisant preuve de médiété concrète pour, au maximum, s'approcher de la droite règle en évitant les excès : ne pas trop entraider pour ne pas se substituer à la responsabilité d'autrui, ne pas trop insister sur l'esprit de concurrence pour ne pas conduire au cynisme ou à l'inaction. C'est en tenant compte de chacun, en respectant ses particularités et en tenant compte des règles générales de libération, que le pédagogue participe à l'épanouissement de soi. La pédagogie, ayant pour rôle fondamental de révéler les moyens d'être soi, est à différencier en fonction du projet d'être soi ; elle est basée sur le respect et la motivation.

Le pédagogue, s'il doit respecter les formes fondamentales des structures de projets de sens, ne doit cependant pas y enfermer l'élève. Il a le devoir de proposer les moyens de dépasser ses structures de projets de sens premières. C'est la diversité des projets qui ouvre au possible ; un seul projet enferme le sujet dans ses propres limites. C'est par le développement de la variété des projets que chacun peut s'ouvrir à d'autres richesses. Pour être un bon pédagogue il ne suffit pas de connaître les lois pédagogiques ; il faut aussi avoir pris conscience de soi et ne pas chercher à imposer à autrui son propre vécu, sa propre vérité, car imposer le sens, c'est installer la dépendance et nier l'autonomie.

Faire oeuvre de libération, c'est montrer à chacun comment se servir de son intelligence en développant la motivation, c'est-à-dire la capacité à rechercher non seulement les moyens adaptés à telle fin fixée d'avance, mais aussi ceux appropriés aux fins que l'on s'est soi-même fixées. La règle de la prudence s'accompagne de médiété : ne pas se polariser uniquement sur les fins, ne pas s'égarer dans l'idéalisme, sans s'égarer non plus dans l'utilitarisme en se polarisant uniquement sur les moyens.

Notes
231.

Antoine de La Garanderie, La gestion mentale, voie vers l'autonomie, Gestion mentale n°1, Colloque d'Angers, Paris, Editions du Centurion, 1991, p. 69.

232.

Antoine de La Garanderie, Ibid., p. 57.

233.

Antoine de La Garanderie, Gestion mentale, Revue d'études et de pratiques sur la vie mentale, Paris, Editions Bayard,n°3,p. 47-48