3. L'ancrage ontologique

L'inscription dans l'ontologie de Heidegger vient résoudre le problème de la theoria. L'homme est être au monde et ne peut être pensé en dehors de cet enracinement. Son essence n'est pas à rechercher dans une abstraction hors de son existence concrète.

Une non-theoria

Pour Heidegger, l'homme est être au monde, enraciné dans la quotidienneté dont il ne peut s'extraire. Etre, c'est être-là dans ce monde ; c'est exister concrètement dans le rapport aux choses et à autrui, et non donner sens à son existence à partir d'une essence, d'uneIdée de l'Homme à laquelle il faudrait s'efforcer de se conformer.

Sans fondement, sans essence donnée, l'homme se fait sans cesse ; fondamentalement projet, il ne se détermine qu'à partir de ses possibilités. L'essence de l'homme est dans son existence, dans son angoisse et son pouvoir être, à partir desquels il se transcende sans cesse vers l'avenir, vers les choses, vers autrui, vers l'être, dans un monde d'où Dieu est absent, où la Conscience, le Monde ne sont plus des principes explicatifs, car il n'y a pas d'explication, de sens à l'existence. Au contraire, ce qui caractérise l'être de l'homme, c'est l'angoisse par laquelle il prend conscience de sa contingence ; il aurait pu ne pas être là ; ce qui est là était là avant lui et continuera à être là après lui. Saisi par l'angoisse il apprend que, loin d'être le maître de son être, il n'est déterminé que par le néant, seule possibilité certaine qu'il découvre, car il est aussi projet, capacité à toujours se porter en avant de lui et à saisir sa finitude, son être plus là. L'être-là n'est pas un Sujet, mais un être fini ; la mort est sa seule détermination certaine, sa seule possibilité réelle, définitive et inéluctable. Mais son anticipation ouvre aux autres possibilités non définitives, à son existence, non comme simple présence physique réelle, mais comme possibilité, projet, au-delà de soi, possibilité de dépassement toujours située concrètement. Projet de pouvoir être au monde, c'est la relation aux choses et aux autres qui lui permet d'être et de se révéler. Il n'accède au sens que dans l'expérience à autrui, aux choses, interpellé par eux.

Le Dasein est lui-même sa propre fin, décidant de son existence à partir de ses propres possibilités. Remettant en cause la métaphysique classique, Heidegger propose une nouvelle conception de l'agir. La praxis ne peut dériver d'une theoria ; agir ne peut consister à se conformer à un fondement constitué par la pensée,car agir et penser signifient une seule et même chose : exister de façon authentique en s'efforçant d'être soi-même dans ce monde concret et en renonçant à rechercher des principes théoriques d'action. La conception selon laquelle la volonté devrait reposer sur des Idées, qui lui fourniraient les finalités et les moyens de son action, relève du Dasein inauthentique qui refuse sa situation d'être au monde et se soumet à autrui, à la conception commune de penser pour fuir son angoisse. Exister, c'est s'assumer comme projet, vivre son rapport au monde de façon autonome sans chercher dans des principes des raisons à son action, au monde et à son existence. Heidegger annule ainsi la problématique traditionnelle theoria-praxis.Si l'on peut encore parler de praxis, il ne peut s'agir que d'une praxis qui renonce à toute theoria et en laquelle se confond aussi la poièsis, car toute action est une forme d'être, une manière d'exister en s'efforçant d'être soi-même dans ce monde ci, avec les autres et auprès des choses en les intégrant dans son projet d'existence.

S'inscrivant dans cette perspective, la pédagogie proposée par Antoine de la Garanderie, ne peut être qu'une non theoria, une praxis non fondée sur des Idées, donc sans prudence, une manière d'être permettant à chacun de se déterminer à partir de ses seules possibilités, une non poièsis car la techniquen'est rien d'autre qu'une forme de la praxis.