En pédagogie des moyens : La Liberté comme phénomène

Contrairement à Daniel Hameline, Antoine de La Garanderie se garde bien de l'illusion d'une Liberté absolue concrète. La liberté ne peut être que relative. L'être humain est un être déterminé par ses structures et, s'il peut acquérir une certaine indépendance par rapport à sa nature première, il ne peut totalement s'en affranchir. Comment soutenir, à la fois, qu'il ne peut échapper à la loi de la causalité et qu'il peut agir sur ses structures ?

En recherchant les lois pédagogiques de la gestion mentale, Antoine de la Garanderie se situe dans l'ordre de la nature et la pédagogie peut se vouloir science des moyens mentaux. En science, théorie et pratique se complètent mutuellement ; la pratique est alors action technique, application d'un savoir théorique, soumise à des impératifs hypothétiques. Si la connaissance que l'on possède est complète, on peut choisir la règle la mieux adaptée au but poursuivi, ce qui évite le tâtonnement ou l'échec : ‘«’ ‘ Pour être attentif, il faut... Pour mémoriser, il faut ...’ ‘»’ ‘.’ Si notre connaissance est imparfaite, il nous faut la compléter en nous référant à la théorie de la gestion mentale. Mais il est aussi possible que cette théorie soit imparfaite, auquel cas elle devra être complétée par l'expérience, à partir de l'observation des faits et l'analyse des dysfonctionnements. Telle est bien la démarche adoptée par Antoine de La Garanderie dans l'élaboration des lois pédagogiques et la recherche de l'essence des gestes mentaux. Cependant, en admettant le déterminisme au point de vouloir faire de la pédagogie une science et en choisissant aussi la Liberté, il s'efforce de lui trouver, à elle aussi, une explication conforme aux lois de la nature. Il sombre alors dans le dogmatisme scientifique contre lequel Kant nous a mis en garde.

La structure de liberté, nous dit Antoine de La Garanderie, est la structure fondamentale de la conscience. C'est elle qui détermine notre rapport au sens ; c'est d'elle que découle la forme de l'intelligence. Elle est donc cause première d'où découle tout le reste. On retrouve là la notion de liberté transcendantale, condition inconditionnée, mais qui n'est qu'une simple hypothèse. Elle n'a aucune réalité concrète, ne peut être connue ni démontrée, car ce serait la nier. Or, Antoine de La Garanderie en fait une réalité observable, lui donnant deux formes, opposante et composante, formes que le pédagogue doit connaître et repérer afin de régler son action. C'est céder à l'illusion transcendantale, à la prétention de l'entendement de tout connaître et démontrer. Rechercher les lois pédagogiques de la gestion mentale, c'est se situer dans l'ordre phénoménal où la Liberté n'a pas de place, puisque tout phénomène y est régi par un autre et que la Liberté ne peut être régie par rien d'autre qu'elle-même. La Liberté n'est pas un phénomène. L'entendement qui prétend en avoir une connaissance se nie lui-même ; il ne peut à la fois soutenir que tout phénomène peut s'expliquer par une cause et en même temps affirmer une causalité libre, la Liberté. D'un point de vue théorique, la Liberté n'est pas contradictoire avec les lois de la science à condition de ne pas en faire un phénomène, à condition de considérer qu'elle appartient à un ordre différent de celui de la nature et de ses lois. Si on veut la sauver, il faut prendre garde de ne pas chercher à en faire une réalité concrète.

Une pédagogie, qui se veut science, se doit de se limiter à la certitude basée sur l'observation des faits, à partir de laquelle elle peut se construire comme connaissance au service de l'action pédagogique comme technique, et dans ce cas, elle doit exclure la Liberté. Si elle choisit aussi la Liberté, elle doit prendre garde de ne pas se laisser tenter par l'illusion scientifique qui voudrait tout expliquer. La Liberté n'est qu'une Idée ; elle ne peut faire l'objet d'un savoir mais elle s'impose inévitablement, car elle est théoriquement et pratiquement nécessaire. C'est elle qui dynamise l'entendement, le poussant à parfaire ses connaissances en recherchant toujours la cause de la cause. Mais c'est elle aussi qui, seule, peut limiter ses prétentions abusives en le faisant tomber dans des contradictions quand il prétend tout connaître, y compris la Liberté. Comme être sensible, l'homme est soumis à ses tendances, à ses habitudes mentales ; comme être intelligible, il est capable de se soustraire aux lois de la nature. D'un point de vue théorique, on est autorisé à poser cette dernière hypothèse, qui ne vient pas contredire le déterminisme de notre nature psychologique, à condition de considérer que Liberté et déterminisme psychologique ne sont pas du même ordre. Il s'agit de deux points de vue différents qui ne peuvent former un ensemble cohérent que si nous n'oublions pas que le déterminisme n'est pas une caractéristique de l'objet-enfant, mais une méthode de pensée, la seule possibilité que nous ayons de le connaître, et que nous n'oublions pas que la Liberté n'est pas une connaissance, ce qui serait en faire un phénomène déterminé et donc la nier. Rien ne nous autorise à nier le déterminisme ; rien ne nous autorise à nier la Liberté. Il nous faut tenir les deux sans pouvoir résoudre logiquement l'antinomie.

L'enfant est bien un être sensible à la formation intellectuelle duquel il faut s'attacher, en recherchant les moyens qui permettront de développer sa mémoire, son attention..., pour qu'il soit capable de se donner des fins et les moyens de les atteindre, pour qu'il gagne en autonomie. Mais l'autonomie n'est qu'une Idée, une croyance de la raison. En faire une réalité, chercher à la démontrer et à la produire, conduit à la nier. Si on peut, effectivement, vérifier que telle structure mentale est plus efficace que telle autre, on ne peut vérifier l'autonomie de la volonté, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faille la déclarer impossible. Aussi la description psychologique, la maîtrise de soi, la décision, la ténacité et l'initiative, ne permettent pas de dire d'un acte qu'il est volontaire et donc libre, mais on peut le penser sans pouvoir en faire une certitude. C'est sans doute tout ce que l'on peut vérifier, mais cela n'autorise pas à considérer que la science puisse tout dire, tout expliquer ; une autre dimension lui échappe. Si on pouvait tout connaître, tout décrire, tout vérifier, établir la cause de toute cause, tout serait déterminé et il n'y aurait aucune place possible pour la Liberté.